Je perçois des formes et des couleurs. En photographiant ces formes et ces couleurs, je les isole par le mode de prise de vue: frontalité, dépouillement de l’environnement, viduité du propos.
Les sujets ne sont pas choisis pour soutenir un discours, mais seulement pour leur forme, leur couleur, parce qu’ils sont là et qu’une certaine beauté en émane. La beauté des choses réside à la fois dans leur contour, l’harmonie de leur situation dans l’environnement, mais également dans l’accueil qui leur est fait. Est-ce l’œil autant que l’objet qui ferait la beauté? ne serait beau que ce que je perçois comme tel? ou bien les choses sont belles en elles même?
On pourrait reprocher à ma démarche son manque de contenu, l’absence de propos, ou d’intention artistique, en effet, je ne fais pas un reportage sur tel ou tel sujet précis, ma démarche n’est pas non plus réellement documentaire. Elle ne montre pas la misère des uns, ne dénonce pas la richesse des autres, ne cherche pas à ajouter de valeur mémorielle à celle que possède déjà le médium. Mais ce silence du photographe n’a pour objet que de mettre en avant l’image pour ce qu’elle est, montrer des images plus que des sujets photographiés. « La photographie ne parle du monde qu’en lui cédant la parole » [1] Mais le monde est silencieux, il faut alors savoir regarder pour l’entendre.
Pour Léonard de Vinci ou Lucrèce, les images sont présentes dans le monde à l’état naturel, sauvage, elles sont dans l’espace, l’atmosphère. Le monde naturel est le lien originel de l’image, aller à la rencontre d’une photographie, c’est aller à la rencontre de ce monde originel, c’est remonter à la source des choses. Mes images aspirent à se tourner plus vers leur origine que vers leur référent.
« Les images ne doivent pas se substituer aux choses mais montrer comment elles s’ouvrent et comment nous entrons dedans » [2]
[1] Roger Munier « Contre l’image » Ed. Gallimard Coll. Le Chemin 1963
[2] Philippe Jaccottet « Paysages avec figures absentes »
