Située sur la côte sud de la Chine, Canton est un mastodonte économique. Elle fait partie des métropoles chinoises qui ont toujours abrité des communautés étrangères assez conséquentes. Avec la foire annuelle de Canton, la ville a attiré tous les traders du monde, ces acheteurs rompus aux termes des contrats de « sourcing » ont contribué à transformer la Chine en usine du monde. Les traders africains aussi sont venus en masse, à la recherche du « Rêve Chinois », à commencer par des ustensiles en plastique, pour finir jusqu’aux marques de contrefaçon, un phénomène inconnu en Afrique jusqu’aux années 2000. La plupart de ces migrants africains se sont installés autour de Xiaobeilu (littéralement « petite rue du nord », dans le centre-ville. Le quartier a rapidement gagné des surnoms du genre « la Petite Afrique », « la Rue Africaine », ou même « la Cité Chocolat ».
De nos jours, cette population s’est beaucoup amoindrie, mais on a estimé le nombre de migrants africains, clandestins ou non, à deux-cent mille à l’apogée du phénomène. Qui curieusement s’est située au cours d’une décennie d’entre deux épidémies : la pandémie du SRAS, en 2003-2004, et la crise d’Ebola de 2014.
En septembre 2016, Jenni Marsh, journaliste à CNN, décrivait un endroit qui ne ressemblait en rien au reste de la Chine : « Des restaurateurs ouighours abattaient des agneaux en pleine rue, des Angolaises portaient sur leur tête des sacs en plastique pleins de provisions, des Somaliens en boubou marchandaient des devises, des traders Congolais passaient commandes de lingerie à des grossistes chinois, les Nigérians poussaient la porte de l’Africa Bar pour commander une bière Tsingtao et un plat de riz sauté ».
Ces dernières années, des vagues de migrants africains ont plié bagages et sont retournés au pays suite à une conjonction de plusieurs facteurs : une décision par la municipalité de moderniser, réhabiliter les quartiers laissés à l’abandon ; un taux de change entre dollar et yuan de plus en plus défavorable ; une présence policière renforcée, une plus grande sévérité à l’égard des immigrés clandestins, sous forme de contrôles incessants des passeports ; et surtout, un racisme de plus en plus ouvertement exprimé de la part des Chinois. Tel est le contexte du nouvel ouvrage de Daniel Traub Little North Road, édité avec l’aide de Robert Pledge, de l’agence Contact Press Images.
Daniel Traub, photographe basé à Brooklyn dont la mère est chinoise enquêtait sur les milieux urbains défavorisés en Chine depuis les années 90, il travaille en ce moment sur ce projet multimédia (photographie et vidéo) en collaboration avec deux photographes locaux rencontrés sur les ponts de Xiao Beilu. En effet Wu et Zeng sont ce qu’on appelle des photographes ambulants qui proposent un portrait aux passants pour 10 Yuan (moins de 2 EUR), équipés d’une imprimante portable, leurs clients peuvent partir avec un souvenir de leur passage en Chine dans leur poche. Ces photographies vernaculaires dont les poseurs anonymes rappellent étrangement les sublimes portraits des deux masters africains, Seydou Keita et Malik Sidibé, nous interpellent par leur décalage. Qui sont ces Africains en Chine ? Pourquoi à l’heure du téléphone portable, plutôt qu’une Selfie, préfèrent-ils se faire « tirer le portrait » par un photographe chinois ? Se demande d’ailleurs Robert Pledge. S’agissant de véritables commerçants, des marchands, peut-on voir là un acte de « fair-trade » (un échange équitable) ? Un Africain posant comme un businessman achète son portrait à un vrai photographe chinois (un fournisseur de service), contre paiement en monnaie sonnante et trébuchante, il repartira au pays avec une vraie photo sur papier glacé, preuve tangible, solide et irréfutable de son passage en Chine, de son China Dream. Ce qu’une Selfie numérique ne peut en aucun cas remplacer.
Jean Loh
Jean Loh est écrivain spécialisé dans la photographie. Il est basé en Chine, à Shanghai.
Daniel Traub, Little North Road
Du 22 avril au 25 juillet 2017
Shanghai Center of Photography
2555-1 Long Teng Avenue
Xuhui District, Shanghai
Chine