Au tournant du XXe siècle, la photographie se limite à celle des explorateurs qui compilaient avec un mélange d’exotisme et d’authenticité leurs découvertes ethnologiques ou archéologiques et au pictorialisme, longtemps dénigré pour son manque d’indépendance disciplinaire puis finalement reconnu pour sa singularité esthétique comme fondement de la photographie artistique. Celle des amateurs est largement ignorée et ne sera redécouverte que plus tard pour sa qualité essentiellement documentaire et historique dans les rares greniers ou les albums ont été oubliés.
C’est à cette époque que Félix Thiollier, érudit industriel de la région stéphanoise, arrête sa carrière de rubanier et décide de se consacrer à la reconnaissance du patrimoine de son Forez natal. Bibliophile averti, il se met à la photographie et publie des livres illustrés valorisant la culture régionale et la peinture de ses amis, parmi lesquels Auguste Ravier, paysagiste de l’ombre et de la lumière qui reproduit dans ses toiles la couleur vivement tragique des horizons foréziens. Influencé par le caractère dramatique des représentations bucoliques de la Plaine, Félix Thiollier choisit une forme monochromatique pour révéler les émotions que réveillent ces scènes rurales, theatre de l’amour pastoral d’Astrée et Céladon. Le noir et blanc de la photographie lui permet de se concentrer sur les lignes infinies que déploie la nature dans des paysages souvent solitaires, les innombrables ramifications des branches que l’hiver a dénudées se démultipliant dans les étangs d’une tranquillité crépusculaire miroitante. La lumière de fin de jour dans laquelle baignent ses photographies accentue les courbes abstraites que dessine la nature dans un éclat visuel précédant la pénombre et exprime le passage d’un temps, celui patient et contemplatif de l’observateur. Celui, aussi, de l’histoire, qui incite Félix Thiollier à prendre quelques portraits de chasseurs et de paysans dans des situations formelles et tenues traditionnelles avant leur disparition.
Précurseur des mouvements qui naitront plus tard sous l’impulsion de Stieglitz, d’une part, et d’Evans, d’autre part, Félix Thiollier documente aussi l’industrialisation stéphanoise dans des compositions sombres et ardentes, reflétant la condition sociale des travailleurs et les transformations du paysage : les cheminées de briques érigées ici et la remplacent les troncs inébranlables et l’épaisse fumée qui s’en dégage imite les formes poétiques des nuages dont il continue à capturer inlassablement les délicates silhouettes. Passant d’un sujet à l’autre avec la sincérité d’un amateur modeste, Félix Thiollier a composé une collection dans laquelle enquête sociale côtoie images lyriques, témoignage d’une époque préservée éblouissant à la manière des contre-jours récurrents de ses photographies.
Laurence Cornet
Exposition
“Félix Thiollier (1842-1914), photographies”
Commissariat de Thomas Galifot
Du 13 novembre 2012 au 10 mars 2013
Musée d’Orsay
62, rue de Lille
75007 Paris – France
Tél. : 01 40 49 48 14
Publication
“Félix Thiollier. Photographies”
Thomas Galifot
Musée d’Orsay / Editions courtes et longues
40 euros