L’œil aux aguets dans la ville, Deidi von Schaewen collectionne fragments, murs arrachés, peintures effacées, monuments escamotés… L’artiste repère et enregistre de puissants échafaudages ou d’immenses bâches qui forment des sculptures éphémères dotées d’une présence décuplée, intrigante.
La photographie est aussi un outil pour souligner le bizarre, dévoiler l’étrangeté du réel… Tout ce qui fait rêver, ou qui pourrait inquiéter, dans le décor ordinaire de nos vies urbaines.
Un jour, en 1965, à Barcelone, elle est saisie par la vision d’un grand magasin, le Corte Anglès de la plaza de Catalunya, qui a … disparu : entièrement bâché, emballé, monumentalisé. Ce choc esthétique marque le début de la deuxième série de photos, après les murs.
Comme des ready-made, ces immeubles drapés dans une silhouette de toile ou bardés d’une armure de métal attirent son regard d’artiste. Ceux que le poète André Breton appelle les « monuments à l’irrévélé », des édifices que bâches et échafaudages dérobent momentanément à notre vue. Ils se dressent alors sous le masque grave et mouvant de résilles moirées, colorées, lumineuses. Ils invitent le passant à une méditation en trompe l’œil, ironique et savante.
Dans la préface du livre Echafaudages (Editions Hazan, 1992) qui rendra compte de ce travail au long cours, Dominique Baqué, historienne de l’art, spécialiste de la photographie plasticienne, rappelle le rôle du hasard chez les surréalistes. Elle rappelle comment « André Breton appelait les plasticiens à ne pas se laisser enfermer dans l’enclos de leur pratique, mais à affronter le vent de la rue ». «Ce qui est en jeu, écrit Dominique Baqué, dans l’errance urbaine et l’objet trouvé, est la prise de conscience que le monde est réseau de signes, de chiffres, de signaux suscitant d’invraisemblables complicités ».
Dominique Baqué rappelle une conversation, entre le peintre Pierre Alechinsky et André Breton, où ils évoquaient l’idée de photographier ces immeubles parisiens bâchés, ce que Deidi von Schaewen n’apprendra que vingt ans plus tard par Pierre Alechinsky.
Deidi von Schaewen tient la chronique visuelle de l’univers citadin, avec un penchant pour l’éphémère, le collage, l’inattendu, les bâtisses ordinaires deviennent de somptueux théâtres de couleurs, de moirages et de reflets. La réalité n’est pas une, mais multiple.
Voyageant autour du monde pour des livres et des journaux, elle « collectionne »… De nouveaux objets escamotés sont apparus : séries de voitures bâchées, en Egypte principalement, de motos en Inde et ailleurs, des bicyclettes, des jeux d’enfants, des filets de pêche empaquetés pendant la mousson sur la plage de Madras, des arbres au Japon et en Inde, des statues de Berlin à Bombay et la Colombie, et des « barrages » dans les caniveaux à Paris…
Objets trouvés, mais pas objets volés…
L’œil en alerte, le réflexe rapide, prête à surprendre ce qui bouge dans l’univers de l’inanimé, elle « chine » les signes négligés de la scénographie urbaine, les modes de vie précaires, les suites impromptues qui forment un ensemble cohérent d’images captivantes.
Michèle Champenois
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Exposition Deidi von Schaewen // Texte de Michèle Champenois
Plus d’informations sur : http://www.deidivonschaewen.com/fr/photography/ et https://kunsthallebratislava.sk/en
Informations
Kunsthalle de Bratislava
Námestie SNP 12, 811 06 Bratislava, Slovaquie
22 novembre 2019 au 16 février 2020