Photo Poche, la plus vieille et prestigieuse édition de poche consacrée à la photographie, fête ses 40 ans en grande pompe, avec notamment la publication d’un nouvel ouvrage consacré à Samuel Fosso et dirigé par Christine Barthe.
Samuel Fosso
Samuel Fosso, né en 1962 au Cameroun, ouvre son premier studio à Bangui à l’âge de treize ans, qui a pour devise : “Avec Studio National, vous serez beau, chic, délicat et facile à reconnaître.”
Dès ses débuts, il utilise les derniers centimètres de ses pellicules commerciales pour se mettre en scène dans des poses et des rôles iconoclastes. Ses autoportraits de la série 70’s Lifestyle, d’abord destinés à son cercle familial, sont révélés en 1993 par le photographe Bernard Descamps, à la recherche de talents à exposer lors des premières Rencontres photographiques de Bamako. Samuel Fosso remporte le premier prix du festival et entame ainsi sa carrière artistique. Entrer dans son œuvre, composée d’autoportraits, implique des aller-retours constants entre le biographique et le photographique.
Ces deux dimensions pourraient constituer des clés de lecture des images de Samuel Fosso. Pourtant, cela ne suffit pas à rendre compte de la complexité de l’œuvre développée depuis plus de quarante ans par cet artiste inclassable, destiné à être guérisseur, puis cordonnier, qui a pu, contre toute attente, devenir une figure majeure de la photographie contemporaine de ce début de XXIe siècle.
Cet ouvrage propose une rétrospective complète de l’œuvre de Samuel Fosso, en écho à l’exposition monographique qui lui a été dédiée à la Maison Européenne de la Photographie fin 2021. La sélection présente les séries emblématiques où le photographe imagine divers alter ego tantôt stéréotypés (Tati, 1997), tantôt historiques (African Spirits, 2008), souvent avec une touche de satire (Emperor of Africa, 2013 ; Black Pope, 2017).
On y découvre également des travaux plus intimes, comme Mémoire d’un ami (2000), où il questionne le deuil, Le Rêve de mon grand-père (2003), où il explore l’enfance qu’il n’a jamais eue, ou encore SIXSIXSIX (2015), pièce majeure de ses travaux récents inspirée de l’expérience douloureuse du pillage de son studio.
Samuel Fosso, pouvez-vous nous parler de la collection Photo Poche et nous dire ce qui, pour vous, la différencie des autres livres de photographie ?
L’une des grandes différences, c’est que la collection Photo Poche permet à ceux qui aiment mes photos et qui n’ont pas les moyens d’acheter le catalogue de l’exposition de découvrir ce que je fais avec ce petit livre. C’est donc une question de bourse.
Que représente pour vous le fait d’être publié dans la collection Photo Poche ?
Tout d’abord, ça permettra aux gens qui ne me connaissent pas ou à ceux qui ont entendu parler de moi de mieux me connaître grâce à ce livre qui sera publié bientôt. Ça leur permettra de comprendre ce que je veux dire à travers la photo. Parfois, les gens disent que je fais de la politique, mais je ne fais pas de politique, je ne fais que montrer ce qui s’est passé hier et aujourd’hui. Ça leur permettra de mieux comprendre le message que je veux faire passer dans le livre.
Pouvez-vous nous parler de la conception de votre Photo Poche ?
Le Photo Poche a été conçu avec Christine Barthe, une femme que je connais très bien, qui travaille au musée du quai Branly-Jacques Chirac. On a fait ensemble la sélection de ces photos issues de séries différentes : celle du début de ma carrière dans les années 1970 et celle du milieu des années 2000.
Comment êtes-vous devenu photographe ?
Comme beaucoup en Afrique, j’ai commencé la photographie en tant que photographe commercial. J’ai créé mon studio le 14 septembre 1975 (à l’âge de treize ans), après mon apprentissage auprès d’un voisin photographe. Je n’ai pas fait d’études mais la photographie fait qu’on apprend. Les gens me passaient commande de reportages au moment des cérémonies, des mariages, des baptêmes. Dans le studio, les gens venaient le soir pour des portraits, d’autres pour des photos de leurs bébés, eux aussi venaient souvent le soir. De nos jours les photos sont très faciles à faire grâce au numérique, en ces temps-là, c’était différent, il fallait acheter des pellicules, des lots de pellicules. J’avais un appareil qui prenait les pellicules de 6 x 6, ce sont des pellicules un peu carrées de 12 poses. Par soir, j’utilisais jusqu’à deux ou trois rouleaux. Et une fois que j’avais fini la séance, si je n’avais pas totalement vidé le dernier rouleau, alors je me prenais moi-même en photo. C’est comme ça que tout a commencé !
Que représente pour vous un livre de photographie ?
Avant tout, comme dans beaucoup de familles africaines, personnellement, je ne connaissais pas ce qu’on appelle “art”. Ce que représente pour moi un livre de photo ? C’est comme des souvenirs parce qu’il y a des photos anciennes, qui sont devenues des souvenirs, et il y a des photos plus récentes, comme le pape, African Spirits… Ensuite, un livre de photo, c’est pour moi l’occasion de faire passer un message, de faire savoir ce que nous autres, Africains, avons vécu, souffert. Les étudiants n’apprennent pas ces histoires parce que tout ce qui concerne l’esclavage et la maltraitance n’est pas évoqué à l’école : il n’y a pas de manuel scolaire qui traite de ces thématiques. Pour moi, c’est une façon, comme dans mes expositions, au musée du quai Branly, à la Tate Gallery à Londres, au MoMA à New York, de faire comprendre ce que nos ancêtres ont souffert avant que nous soyons à cette place aujourd’hui.
Christine Barthe
Christine Barthe est responsable scientifique de l’unité patrimoniale des collections photographiques au musée du Quai Branly-Jacques Chirac depuis 2004. Elle a assumé le commissariat de plusieurs expositions comme D’un regard l’autre, la biennale de Photoquai depuis 2007 et tout récemment cette exposition entièrement consacrée à l’image contemporaine, À toi appartient le regard, catalogue publié chez Actes Sud en 2020.
Photo Poche – Samuel Fosso
Un livre dirigé par Christine Barthe
Juin 2022
12,5 x 19 cm
144 pages
Prix : 13,90 €
Disponible en librairie et sur le site d’Actes Sud
Informations
Actes Sud
Paris
14 octobre 2022 au 13 novembre 2022