Il s’agit du treizième dialogue de la Collection Ettore Molinario. Un dialogue dédié à ce geste douloureux mais conciliant qu’est la déchirure. Au bord déchiqueté de l’un des portraits les plus intenses de Vali Myers, Ed Van Der Elsken et Nan Goldin se rencontrent. Et en réparant les histoires de ces deux rebelles extraordinaires et des communautés dans lesquelles ils ont vécu, je vous invite à suivre nos prochains rendez-vous.
Ettore Molinario
Ce geste dit tout, la vocation à un regard subjectif, extraordinairement autobiographique dans la révolte, dans la souffrance, dans la recherche d’authenticité. Et le geste emblématique est la déchirure qui réinvente et rend unique le portrait de Vali Myers, alias Ann, protagoniste de Love on the Left Bank, un livre révolutionnaire d’Ed Van Der Elsken, qui dans les années 1950 explore la révolte des jeunes dans les cafés, sur les trottoirs , et dans les caves existentialistes de Saint-Germain-des-Prés, à Paris. L’histoire est éclairante : Gerd Sander aimait beaucoup le travail de Van Der Elsken ; les deux s’étaient rencontrés, Sander avait exprimé son enthousiasme précisément pour cette image et sans hésiter Van Der Elsken avait arraché le tirage de l’album qui le contenait et l’avait offert au galeriste et neveu du grand photographe allemand.
Si Gerd Sander, également un tireur très raffiné de l’œuvre de son grand-père, a jalousement conservé cette image imparfaite selon les critères classiques de conservation, si Julian Sander l’a présentée au dernier Paris Photo dans l’exposition-hommage à son père, décédé l’an dernier, et si aujourd’hui cette image fait partie d’une collection qui a dans son ADN le déracinement de la norme et l’exploration de l’underground, c’est justement parce que cette image, a le pouvoir de raconter et joindre ensemble plusieurs vies.
C’est bien sûr la vie d’Ed Van Der Elsken et de sa communauté vivant en marge de la loi, avec laquelle il s’identifie et dans laquelle il grandit en tant qu’auteur – « Je veux photographier des gens comme moi » disait le photographe hollandais – et il raconte les amours, la violence, les naissances, le sexe, la maladie, la douleur, les illusions, la mort. Et bien sûr trente ans plus tard dans cette « tribu », comme l’appelait Vali Myers, se retrouvait Nan Goldin, âme de The Ballad of the Sexual Dependency, exposée pour la première fois à Arles en 1986, celle qui considérait Ed Van Der Elsken « un amant ou un frère» à ses côtés dans sa plongée dans le Bowery, parmi les protagonistes de l’underground new-yorkais. A la place de Vali, Cookie Mueller, Trixie, Susan et leurs compagnons apparaissent. Vivre, faire des photos et se représenter était la seule règle, et même après avoir déménagé à Paris, Nan Goldin entre et vit dans la communauté joyeusement contestée du Carrousel, et dans le cabaret le plus célèbre de la capitale, le travesti incarne sa star, Kim Harlow, posant dans le vestiaire. Encore une fois c’est un regard d’étreintes , une nouvelle famille, encore une fois c’est se retrouver au centre car aux marges, encore une fois c’est du courage, de la liberté. Miracle des mains qui déchirent, caressent, dansent, réparent.
Ettore Molinario
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