C’est le septième Dialogue de la Collection Ettore Molinario. Un dialogue entre des femmes qui écrivent leur destin. Un dialogue entre gagnants et perdants, entre les États-Unis et le Japon, entre l’héroïne d’Autant en emporte le vent, Scarlett O’Hara, alias Vivien Leigh, et Scarlett O’Hara elle-même incarnée par Yasumasa Morimura. Je vous invite à vous retrouver dans ce jeu de miroirs et à nous suivre dans les prochains rendez-vous.
Ettore Molinario
La Seconde Guerre mondiale avait pris fin l’année précédente lorsque le gouvernement américain a largué deux bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki les 6 et 9 août 1945. À l’été 1946, dans la lagune bleue de Bikini dans les îles Marshall de l’océan Pacifique, les États-Unis fait exploser une autre bombe. Un test, cette fois, pour vérifier les effets de l’énergie nucléaire sur les navires ancrés autour de l’atoll. Les marins et les commandants sont restés à bonne distance. Quelques minutes avant l’explosion, ils avaient reçu l’ordre de poser un masque occultant sur leurs yeux et avaient attendu le signal. A 08h35, ils avaient vu la bombe exploser, placée sous un navire de débarquement ; entre l’océan et le ciel tout à coup un immense nuage s’était élevé, une inflorescence qu’un opérateur, survolant, avait attrapée dans son ascension mortelle. Si blanche, si douce, parfaite et puis cette couronne qui a tracé le dernier cercle, l’instant avant qu’elle ne se disperse dans l’air pour devenir une colonne sombre.
Quand cinquante ans plus tard, en 1996, Yasumasa Morimura portait l’une des robes les plus célèbres de l’histoire du cinéma, la robe rouge-péché, rouge-passion, rouge-fierté, rouge-I de Scarlett O’Hara dans Autant en emporte le vent peut-être ne pouvait-il pas imaginer qu’il interprétait l’essence même de l’histoire du Japon moderne. Ce n’est pas seulement l’une des images les plus célèbres de la série Actrice, portrait et autoportrait d’une artiste qui sort de lui-même pour devenir quelqu’un d’autre, mais la Vivien Leigh de Morimura, la Scarlett de Tara, la chérie rejetée par Ashley , l’épouse ingrate de Rhett Butler, est le visage et le corps d’un pays qui a perdu la guerre et a choisi, en « s’américanisant », de porter l’uniforme de son envahisseur. Qui d’autre est Scarlett O’Hara sinon la femme qui a perdu la guerre civile ? Qu’est-ce que cette robe de mort rouge, avec ce nuage de plumes qui enveloppent ses épaules et ses seins, sinon un prémonition de la guerre nucléaire qui sera ? Et qui est Morimura-Scarlett sinon un perdant, un Japonais né six ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, et qui pourtant accepte les radiations de la culture américaine et de ses actrices-bombes ? « Demain est un autre jour », a déclaré Scarlett. Qui sait quelle partie de moi survivra demain.
Ettore Molinario