À propos des luttes
Nous avions, l’an passé, exploré avec des photographes de tous âges, de toutes nationalités, d’esthétiques variées, la thématique des “Rêves” qui pouvaient aussi se transformer en cauchemar. Cette édition de Getxo Photo, en Espagne, avait lieu au moment même où l’on célébrait le 50e anniversaire du célèbre discours de Martin Luther King qui, à Washington, le 28 août 1963 lança : « I have a dream. », « J’ai fait un rêve. »
On sait ce que ce rêve d’égalité, de fin des discriminations, d’espoir pour les temps futurs signifia et signifie encore pour la société américaine et, au-delà, pour tous ceux qui, dans le monde entier, aspirent à davantage de justice et d’égalité. Cela signifia d’abord des luttes. Des luttes pour ce que les Américains nommèrent civil rights, les droits civiques, les droits de l‘homme qui prirent, partout, la forme de manifestations revendiquant qui l’autonomie ou l’indépendance, qui des meilleures conditions de vie, qui le respect de la dignité, qui la fin de l’exploitation, qui une égalité des chances par l’accès à l’éducation. La liste est longue, voire infinie, parce que, aujourd’hui comme hier, aujourd’hui davantage peut-être qu’hier ou sous des formes plus internationalisées, davantage globalisées, la question de l’égalité se pose dans le monde.
Au XXe siècle, qui a été celui de la photographie triomphante en écrivant la documentation historique et en collectant la mémoire des faits et actions, des imageries de ces luttes se sont constituées. Elles ne sont pas seulement des documents, elles portent la trace, souvent au travers de l’héroïsation des acteurs, de points de vues idéologiques qui les fondent. Et il est troublant de constater à quel point, en images, l’ouvrier d’URSS est proche , visuellement, du paysan de l’Italie mussolinienne et à quel point les corps des mineurs ou ouvriers des aciéries soviétiques peuvent se rapprocher de l’exaltation naturiste des musculatures de la jeunesse allemande dans les années de montée du nazisme. Toute cette historiographie en images qui traverse un siècle, celui de deux guerres mondiales destructrices, des camps de la solution finale, des génocides ultérieurs, des écroulements de pans entiers de l’industrie, de la concentration des populations vers les villes et de la relative désertification des campagnes, bien d’autres choses encore, tout cela est consigné par la photographie et a été véhiculé majoritairement par la presse.
Si l’état du monde ne s’est pas amélioré, le statut et les modalités de production de l’image ont changé. La fonction du photojournalisme est battue en brèche par la circulation rapide des pixels sur Internet, par l’immédiateté de la transmission des informations, des sons, du mouvement, même si les sources sont souvent impossibles à déterminer et la fiabilité de plus en plus faible. Mais nous sommes au temps des images.
C’est dans ce contexte que nous abordons le thème des “luttes”. Avec d’une part, et souvent liées, les luttes bien réelles sur le terrain, pour la paix, pour l’indépendance, la liberté, la santé, l’éducation, la vie, contre la violence, les innombrables pollutions destructrices, les humiliations. Mais également les décisions de certains photographes de s’engager dans une lutte ou aux côtés de ceux qui luttent, chez eux et partout dans le monde. Si les origines géographiques des photographes sont toujours aussi internationales, leurs propositions esthétiques restent des plus variées. Du documentaire strict à la mise en scène symbolique, en couleurs comme en noir et blanc, au moyen d’instantanés ou par la composition de tableaux savamment éclairés et composés, en utilisant les recours du texte, en recourant à des dispositifs repérables et producteurs de sens. Nous traversons ainsi un panorama possibles des pratiques de la photographie aujourd’hui, de l’utilisation des archives à l’image amateur, en passant par le retraitement de l’imagerie satellite.
Si nous évoquons — sans aucune prétention à l’exhaustivité — les situations contemporaines, il serait illusoire d’ignorer cette situation millénaire et originelle de la lutte. Elle commence par la volonté de survie et elle s’inscrit évidemment dans le combat à mort et pour la subsistance entre les espèces. En illustrant le proverbe cambodgien « Quand l’eau monte les poissons mangent les fourmis, quand le niveau de l’eau baisse les fourmis mangent les poissons », Mak Remissa nous renvoie superbement à cette réalité. On pourrait espérer que, constatant cette situation dans le monde animal et en tirant les leçons, l’homme ait tout fait pour éviter les luttes destructrices. Qu’il soit, en somme, devenu plus sage que les fourmis et les poissons. Rien n’est moins sûr.
Christian Caujolle
FESTIVAL
Gexto Photo 2014
Jusqu’au 28 septembre 2014
Dans toute la ville de Getxo, proche de Bilbao
accès par métro depuis Bilbao
Espagne