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Eric Neveu : Flashback 1985-2000

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Si nous étions une revue bien pensante, nous parlerions d’une Rédemption !
Celle qui signifie le triomphe de l’Art sur la Chair.
Mais nous ne sommes qu’une revue de photographie, alors nous oublierons rédemption au profit d aventure et d’évolution étonnante.
Certaines de ces photos datent de 40 ans.
Elles sont signées Eric Neveu.
Il sera durant la fin des années 70 et les années 80, l’empereur du nu, le pape des publications érotiques : photographe et directeur de rédaction de New Look, Playboy français, Penthouse français, Lui et Union parfois.
Mais lisez cet entretien qu’il avait donné en 2009 au magazine De Luxe.

Jean-Jacques Naudet    

 

Éric Neveu : L’Esthète du triangle d’or
Sous sa palette graphique, le corps des femmes devient gourmand et chamarré, aussi irrésistible que des bonbons Haribo. Après avoir porté hier Newlook, Penthouse et lui au succès, Éric Neveu se consacre désormais exclusivement à la photographie, surfant avec constance et légèreté sur les ailes d’un triangle nommé désir… Rencontre.
Propos recueillis par Cécile Mortreuil.

Vous avez deux casquettes, celles de photographe p et celle d’homme de presse. Comment avez-vous commencé ?
J’ai fait quinze métiers dans ma vie…J’étais moniteur de ski à Courchevel, par exemple ! J’ai fait skier Claude Lelouch, Roger Hanin ou encore Sami Frey. Puis j’ai été animateur radio à Tahiti, pendant 2 ans. Le paradis terrestre qui devient l’enfer au bout de quinze jours pour qui aime l’action ! En revenant, j’ai accepté un poste dans le groupe de Daniel Filipacchi, comme comptable. Pourtant, je ne savais pas compter plus loin que dix…Après un certain nombre d’erreurs, je suis entré en contact avec Daniel Filipacchi lui-même, qui, pour les fautes que j’avais commises, aurait dû me virer immédiatement ! Mais au contraire, il m’a pris sous son aile.

C’est donc là que le virus de la presse vous a saisi…
Daniel Filipacchi m’a proposé de travailler pour lui dans l’édition d’art, notamment les surréalistes. Lorsque j’ai eu 30 ans, je suis retourné le voir car j’en avais assez de gagner le SMIC. Il m’a alors proposé de le rejoindre aux États-Unis où il s’implantait en tant qu’éditeur de presse. Nos liens se sont renforcés et je suis devenu, là-bas, un peu comme son secrétaire particulier. C’est aux États-Unis que j’ai pris goût à la photographie. Puis Filipacchi a provisoirement fermé ses affaires là-bas. J’étais toujours son adjoint, et pour arrondir mes fins de mois, je faisais des photos de charme.

Vous avez alors créé Newlook. Quelle est la genèse de ce magazine ?
J’avais vendu mes premières photos à Penthouse, aux États-Unis. Je me souviens qu’on m’avait donné pour ce sujet autant d’argent que j’en avais gagné en un an avec Filipacchi ! Daniel trouvait ennuyeux que je travaille pour la concurrence… Il avait Playboy et Lui, mais je n’avais pas ma place, l’équipe était au complet. Sur le ton de la plaisanterie, je lui ai alors suggéré de créer un nouveau magazine. Il est parti en riant, puis quelques jours après, il m’a dit : « J’ai repensé à ton idée : tu as carter blanche, mais je veux que ça ne coûte rien, et que ça ne ressemble à rien de ce qui existe ». Et j’ai créé la formule du magazine Newlook. Filipacchi était assez surpris. Son associé Franck Ténot pensait que c’était un torchon qui ne marcherait jamais ! Daniel m’a dit : « Tu vois mon pote, tu as fait un truc que personne ne veut ! Mais tu y crois. Pourquoi ? » Je lui ai répondu que j’y croyais parce que c’était un magazine que j’achèterais. Alors, il m’a lancé : « N’écoutons personne, on va le faire ».
On l’a tiré à 350 000 exemplaires et j’avais six numéros pour faire mes preuves. Au cinquième numéro, nous étions à 600 000 exemplaires, soit le plus grand magazine de sexe en Europe.

Comment expliquez-vous ce succès fulgurant ?
Il se trouve que j’ai un goût et une simplicité de réflexion partagés par le grand public. Pourtant, toutes les enquêtes de marché m’avaient donné perdant… Cela prouve que the right man, at the right place, at the right time, peut faire l’affaire. Et qu’un succès ne vient pas toujours de l’idée d’un grand professionnel, puisque je n’en étais pas un !

Du coup, vous avez pris la tête d’autres magazines du groupe…
À la suite de ce succès, Filipacchi m’a confié les rênes du magazine Lui. Puis nous avons ensuite sorti une édition de Penthouse en France. Un vrai carton !

Vous continuiez à faire de la photo pendant ce temps ?
Oui, mais la photographie était un travail annexe. Je fabriquais les sujets que je n’arrivais pas à trouver chez d’autres photographes. Mais il ne faut pas oublier, qu’en dehors des photos de charme, j’ai manipulé pour Newlook des milliers de clichés sur l’automobile, les crocodiles, les pompiers…Le charme, c’est un aspect de ma vie de photographe, mais j’ai passé beaucoup plus de temps avec Nicolas Hulot ou Yann Arthus-Bertrand, qui, à l’époque travaillaient pour nos magazines et étaient de parfaits inconnus.

Quel regard portez-vous sur votre travail de photographe ?
J’ai toujours eu du recul par rapport à mes capacités à devenir une célébrité de la photographie. Je suis un déformateur, un illusionniste. Et je ne peux pas me considérer comme un véritable photographe, car les places sont prises ! Qu’est-ce que j’aurais pu inventer ? Quand les premiers critiques sont venus chez moi, ils m’ont dit que mon travail leur rappelait Gursky. Je ne savais pas qui c’était… Même lorsque vous souhaitez inventer quelque chose de toute bonne foi, il y a toujours quelqu’un qui l’a fait avant !

Quelle est la photo qui a rencontré le plus de succès ?
C’est sans aucun doute la série de photos que j’ai réalisée de Danièle Gilbert nue pour le magazine Lui… Ce fut un immense succès qui créa le record historique des ventes (600 000 exemplaires vendus en 2 jours !) de ce prestigieux magazine. Cette expérience a prouvé que le contre-emploi du people pouvait avoir parfois une réelle adhésion du public.

Quand considérez-vous qu’un cliché est réussi ?
Pour moi, la photographie, c’est la création d’une image pouvant être appréciée par le plus grand nombre, sans avoir besoin de lire un mode d’emploi. Si la photo plaît, elle est réussie.

Comment travaillez-vous ?
A la base de mon travail, il y a toujours un cliché et une palette graphique. J’ai connu beaucoup d’artistes et j’ai toujours rêvé de manier les pinceaux. Aujourd’hui, il existe un pinceau moderne qui est ce petit stylo électronique. Je cherche à être plus décoratif que photographique. Pour moi, la photographie n’est qu’une technique : toutes mes photos, j’aurais pu les faire en peinture. Cependant, je ne peux pas suivre tout le temps mon instinct, car ce que je fais, il faut le voir en grand et cela coûte extrêmement cher à fabriquer.

Vous avez un modèle préféré ?
Oui, c’est certainement Clara Morgane, avec laquelle j’ai eu le plaisir de travailler pour sa collection de lingerie. Elle m’a hypnotisé par sa beauté naturelle, son charme et son incroyable photogénie : sur les 4000 clichés que j’ai fait d’elle, seuls trois ont été loupés car mes flashs surchauffés n’avaient pas fonctionné. Avec Clara Morgane, même un aveugle pourrait réussir une photo !

Trouvez-vous que la photographie reste considérée comme un art mineur ?
Il existe effectivement une dichotomie entre les photographes et les autres. Il n’y a que les peintres et les sculpteurs qui sont considérés comme des artistes. Pourtant, les choses évoluent indéniablement. Le jeune photographe allemand Gursky, dont nous venons de parler, vend la moindre de ses œuvres entre 700 000 et 1 000 000 de dollars. C’est le prix d’une œuvre maîtresse de grands artistes peintres ! Eugène Delacroix est mort avant l’avènement de la photographie, mais déjà, au lieu de faire poser des modèles, il préférait demander à un photographe de prendre des clichés qu’il utilisait pour réaliser ses toiles. S’il avait vécu plus longtemps, il serait passé à la photo. Or, aujourd’hui, les grands collectionneurs ont toujours à l’esprit la revente. Une photographie est reproductible et l’acheteur ne peut pas savoir si son investissement est intéressant, car nous manquons de recul sur la revente des photos.

Qui sont les artistes que vous appréciez vous-même ?
Si j’avais de l’argent, j’achèterais des photos de Francis Giacobetti et des toiles de Wilfredo Lam. Ce sont les deux artistes que j’apprécie le plus au monde

Parlez-moi de vos « Jambes » …
Quand j’étais petit, j’ai vu « L’homme qui aimait les femmes ». Ce film m’a énormément marqué. L’histoire d’un homme qui passe ses journées dans une cave à regarder les jambes des femmes à travers un soupirail. « Les jambes des femmes sont les accents circonflexes de la vie », disait-il. Cette phrase m’a beaucoup marqué, car je suis plus attiré par le bas que par le haut. J’ai toujours trouvé très érotique le patinage artistique, le trapèze, tous ces arts qui mettent en valeur le jeu de jambes. Cette série des « Jambes » est déjà entrée dans les plus grandes collections…

Maintenant que vous en êtes retiré, que pensez-vous de la presse érotique actuelle ?
J’en ai abandonné la lecture car depuis quelques années elle ne répond plus à mes attentes : je suis souvent plus attiré par les couvertures de magazines de mode que je trouve plus excitantes que celle des Newlook, Playboy, Union, Hot Video, etc…, qui se sont galvaudés dans un style « people trash » à la Entrevue ou se roulent dans les caniveaux de la pornographie bas de gamme. Je ne sais pas si leurs nouvelles formules ont accroché des clients, je n’en fais plus partie. Je préfère découvrir sur Internet des photos et vidéos beaucoup plus sexy et, en plus, entièrement gratuites.

Quelle est votre démarche, le message que vous souhaitez faire passer à travers vos œuvres ?
Chaque panneau décoratif que je réalise est l’aboutissement d’une démarche intellectuelle pour retrouver ce que j’ai effleuré dans ma vie. Quand j’étais petit, j’ai été opéré de l’appendicite. A l’époque, on vous mettait un masque avec un gaz pour vous endormir. Au moment où j’allais sombrer, j’ai eu devant les yeux des images psychédéliques. A 15 ans, j’ai été fauché par une voiture et je me suis retrouvé dans un coma profond. Les premières images que j’ai vue, c’était ces visions absolument anesthésiantes. Visions confirmées par une expérience au LSD bien des années plus tard ! J’ai voulu reconstituer ces couleurs, ces lumières, ces formes dans mon œuvre « Bubble gum ».
Mais ma démarche principale, c’est de me plaire à moi-même avec l’espoir que cela plaira au plus grand nombre.

D’où vous est venue l’idée des séries sur les poissons et les avions ?
J’ai toujours eu peur de l’eau, de l’océan et surtout de ce qui se passe sous la surface. Lors de mes séjours aux Bahamas et à Tahiti, j’ai vu des myriades de poissons extraordinaires avec toujours l’inquiétude d’être bouffé par un requin ! J’ai donc voulu créer un aquarium de poissons extrêmement rassurants. Je suis fasciné par ces habitants des profondeurs, bien qu’ils me foutent une pétoche hallucinante ! Je suis mort de peur en avion aussi. Je suis mort de peur tout le temps !

C’est donc une manière de domestiquer vos angoisses ?
Exactement. C’est la même chose pour ma série sur les buildings. Je prends souvent le train pour Clermont-Ferrand, et quand je reviens à Paris, le soir, je passe devant ces immeubles de banlieue absolument sinistres qui m’angoissent. C’est pourquoi, je fais ces compositions à partir d’immeubles que j’ai voulu rendre un petit peu plus sympathiques.

Puisque vous figurez vos phobies, vous devez aussi avoir peur des femmes !
Maintenant, c’est devenu une phobie …J’ai la trouille de plaire aux femmes et que cela m’attire des ennuis !

Parlez-nous de la photo intitulée « Le chat ».
C’est une photo très érotique. Cette jeune fille pose souvent pour moi, mais ne veut jamais montrer son visage. J’ai fait la mise en scène, et au moment de déclencher, mon chat est passé dans le cadre. C’est ce qu’on appelle l’incident photographique !

Avez-vous une photo préférée ?
Mes compositions de poissons, qu’on peut regarder de près comme de loin, en y voyant des choses différentes. Je me suis rendu compte, grâce à ces séries, qu’on pouvait faire des choses intéressantes à partir d’un simple poisson en plastique !

Quel regard portez-vous sur la photographie aujourd’hui ?
Il est très difficile pour un artiste de porter un jugement objectif sur le travail de ses confrères. Je visite régulièrement les galeries qui exposent des photographes et, depuis des mois, je n’ai jamais eu d’émotions particulières qui me donneraient l’envie de faire l’acquisition d’un tirage en particulier. Pour moi, que ce soit une photo, une peinture, une sculpture, elle doit être une œuvre qui vous parle avec un but décoratif dont on ne peut pas se lasser.

Qu’est-ce que vous adoreriez photographier ?
Le chèque que me fera un collectionneur pour m’acheter un tirage unique ! Un chèque d’un million de dollars à mon ordre ! Et encore… Je ne serais pas très original dans ma démarche, puisque Malcolm Morley, un grand peintre hyperréaliste américain, l’a déjà fait.

Quels sont vos projets ?
Je vis au jour le jour ! Je suis très bien là où je suis et je me dis simplement : « Pourvu que ça dure » ! Je ne suis pas blasé mais je n’ai plus envie de posséder. Ma seule ambition, c’est de laisser une deuxième trace, en dehors de celle que j’ai laissée dans les magazines, par les panneaux décoratifs que je crée.

 

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