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Elliott Erwitt (1928-2023) par Arnaud Adida

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Son galeriste francais, Arnaud Adida, nous a envoyé ces images couleurs d’Elliott peu connues et son texte racontant leur première rencontre.

 

QUELLE BELLE SEMAINE AVEC ERWITT !

En mars dernier, mon ami Bruno me lance : « la semaine prochaine je vais à NY ». Ayant passé les 5 plus belles années de ma vie dans cette ville surpuissante, je lui demande tout de suite : « Ou vas-tu dormir ? ». Sa réponse est nonchalante : « Chez Elliott Erwitt ! ». J’ouvre un large bec et laisse tomber ma proie…

Le mois suivant, grâce à Bruno, j’étais en contact avec Elliott et l’exposition chez A.galerie* était dans les tuyaux. La plus grande difficulté de ce projet restera la sélection des images car avec plus de 60 ans de carrière, le travail d’Elliott c’est au bas mot plus de 1000 photos exposables et ma galerie ne peut en montrer qu’une cinquantaine.

Durant huit mois, la communication entre AA et EE s’est faite uniquement par email. Pas une rencontre, pas un coup de fil….bienvenus dans l’empire du courriel ! Autant vous dire que, sur mon chemin de l’aéroport, je suis tout excité par cette rencontre imminente mais je me pose bien des questions ! Comment est-il ? Est-il sympa ? Va-t-il être aussi généreux que les autres photographes de sa génération que je connais. Bref : excitation maximale, appréhension non négligeable.

Tout de suite je le reconnais et vais à sa rencontre. Il arrive de Milan ou il a shooté une énième campagne pour Artemide**. C’est un homme de 86 ans, qui se déplace lentement, qui parle peu mais qui parle bien car sa tête va très vite. Même si son corps est fatigué, son œil garde une étincelle qui brille de mille feux, il a le regard qui pétille. Dans la voiture, j’essaye de parler de choses et d’autres pour qu’on apprenne à mieux se connaitre. Mais Elliott est peu bavard. Il ne va pas s’étaler sur les sujets que nous abordons. Au contraire, il me répond souvent par de courtes phrases bien senties qui vont directement au but sans nécessiter de plus ample commentaire. Une de mes 1eres questions est ainsi formulée : « Do you speak several languages ? ». Il me répond « One at a time ! ». Marrant le mec. Le ton est donné. Ensuite je remarque que sur sa canne il a fixé un klaxon et je lui dis : « What’s the horn for ? ». Là encore, il me répond avec autant de brièveté que d’humour : « Crowd control ! ». Ses réponses sont toujours courtes et amusantes. Le lendemain matin, lorsque je vais le chercher à l’hotel je lui demande : « Did you have a good sleep ? » et il me répond « I don’t know I was asleep ! ». Décidemment, je crois que cette semaine je vais bien rigoler.

Il faut dire qu’elle va être copieuse cette semaine. Le vernissage chez A.galerie le lundi, interview avec France Culture, le Morgen belge et Point de Vue le mardi, Paris Photo le mercredi, interview avec TF1 puis signature de son nouveau livre** au Grand Palais & chez Artcurial le jeudi, des rendez-vous business que je garderai confidentiels le vendredi et re-Paris Photo le samedi… Elliott a eu une semaine de ouf ! Quand la journaliste de Point de Vue lui demande s’il s’est bien marié 4 fois, il la fixe dans les yeux et lui lance en souriant : « Am an optimist ! » Encore une fois, nos lèvres se décontractent, tout est dit en quelques mots. Et lorsque je lui présente Laurence Mouillefarine journaliste du Madame Figaro, je lui demande : « Do you know Madame Figaro ? », et il m’en sort une nouvelle, mais pas des moindres, en me glissant à l’oreille : « Not personnally ! ». Aaaah la bonne poilade. Il a 86 ans, se meut comme une tortue mais reste malin comme un singe. J’ai l’impression de passer ma semaine avec Woody !

Le samedi, il repasse me saluer à la galerie. Il a passé son après-midi dans la trop grande foule du Grand Palais, il est exténué. Pour le détendre, je lui propose d’aller faire un bon gueuleton tous les deux afin que cette dernière nuit parisienne soit douce et de qualité. Je l’emmène alors dans le resto préféré des américains – La Fontaine de Mars – endroit sélectionné par le Président Obama lors de sa dernière visite et qui ne désemplit pas de Yankees depuis. Elliott est comblé et après quelques bouchées & quelques verres retrouve à la fois le sourire et des couleurs. Il n’a pas arrêté de la semaine et même si son travail était plutôt sympathique (signer des livres, rencontrer des gens, voir des expos), cela n’empêche que c’est épuisant.

Le dimanche matin, je suis triste que tout cela se termine. C’est passé si vite. Une semaine avec une légende vivante de la photographie, on voudrait que ça dure deux semaines ! Sur la route du retour vers l’aéroport, je le sens un peu plus loquace. Il a appris à me connaitre peut-être. Ou bien était-il timide le 1er jour ? Cela ne m’étonnerait pas. En tout cas, son avion l’attend pour un nouveau voyage, vers Rome cette fois-ci, ou un musée a eu la bonne d’idée de montrer son travail. Je lui dis au revoir et surtout à bientôt. Car c’est un tel plaisir pour un galeriste de travailler avec un homme si talentueux, si vif, si généreux, si malicieux… See ya’ Elliott.

Arnaud Adida

PS : Autre question à Erwitt
AA : So Elliott, what did you buy at « Paris Photo » ?
EE : A sandwich…

 

*Exposition « More Than Women » jusqu’au 20 déc. www.a-galerie.fr

** Designer de luminaires en Italie

*** Regarding Women – Te Neues

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