Synonyme d’art de voyager depuis 1854, les Éditions Louis Vuitton continuent d’ajouter des titres à la collection « Fashion Eye ». Chaque livre évoque une ville, une région ou un pays, vu à travers les yeux d’un photographe. En 1963, Frank Horvat ancre Hong Kong dans un paysage de multitudes et de saturations.
Frank Horvat atterrit à Hong Kong en 1963, accompagné du journaliste Dieter Lattmann pour réaliser une commande passée par le magazine allemand Revue. Les deux hommes doivent couvrir douze grandes villes non-européennes dans le monde et dire, avec leurs vocabulaires, la vie sur place.
Le photographe français, né à Abbazia en Italie (désormais Opatija en Croatie), est à l’apogée d’une carrière croisée entre photojournalisme, photographie de modes et projets personnels. De 1958 à 1961, il est membre de Magnum Photos et enchaîne dans les années 1950 et 1960 les projets pour des revues estimées (Réalités, Caméra, Elle, Vogue, Harper’s Bazaar).
Hong Kong forme un territoire ramassé de 2 755km2 où vivent quatre millions d’habitants. Le « rideau de bambou » avec le voisin chinois s’avère poreux et les migrants se massent sur le pourtour de la ville, dans des bidonvilles. Le gouvernement construit à tour de bras des immeubles couvrant d’ombre les précédents bâtis. La ville fourmille, quand bien même l’expression renvoie à un imaginaire usité, stéréotypée des villes orientales.
Pourtant la densité de la ville saute aux yeux de ce Hong Kong. La ville est bourrée d’humains, de visages, de la multitude et d’anonymes, de la foule qu’écrase la proximité du regard de Frank Horvat. Son objectif se trouve si près qu’il fait front à des yeux interloqués ou absents, se pose presque sur des épaules indifférentes.
Ses images deviennent à dessein et avec brio confuse, parfois illisibles de signes. Ce sont les écritures verticales du ciel aux bas-fonds, qui pour l’œil occidental demeure un empire indéchiffrable, un objet parmi l’indénombrable. Dans ces images, souligne Sylvie Lécallier, « l’espace est saturé, le vide est inexistant ». Il n’y a que des signes sans signifié ni signifiant, des motifs qui envahissent l’image, donnent le tournis des parfums, des chairs d’animaux, de géométries couplées à des publicités.
L’humain là-dedans est une mélodie baladée dans une plus grande symphonie. Il est écrasé de béton et vaillant quand il tient des enfants aux visages grognons. Il est enfumé de gestes, clopes au bec ou volutes d’une cuisine. Il a le regard en coin, l’esprit détaché ou le flegme de ceux qui en ont vu d’autres devant Horvat. Il est à la ville une solitude agitée, et au photographe un sujet débonnaire.
Cette ville cadrée trop près, cadrée brouillon explose sous la technique du photographe. L’ensemble crée un regard volontairement foisonnant, donnant au regardeur un sentiment agréable de déroute, comme un tourbillon d’images, de gestes, mouvements et instants qui viennent frapper son imaginaire.
Un livre photographique n’est rien sans composition. Celle des graphistes Lords of Design appuie la réalité bourrée de signes, dénuée de sens, de Frank Horvat. Les compositions pleines pages plutôt que de donner de l’espace à l’œuvre appuient un rythme surchargé, comme une timbale et une fanfare surgie dans la furie d’un coin de rue.
Et le choix d’un papier rappelant le parchemin, scellé comme le serait un grimoire, aux lignes fibreuses presque visible, sert à merveille le propos du livre. Il faut dire quand un livre est admirablement fait. Celui-ci est à la hauteur d’une ville qui a su noyer le photographe. Sous son œil, Hong Kong n’est plus une ville. C’est plus simplement la traduction d’un photographe dans une langue inconnue.
Frank Horvat – Hong Kong
Éditions Louis Vuitton, 2023
Collection « Fashion Eye »
Directrice de collection : Axelle Thomas
Éditeur : Anthony Vessot
Édité par Sylvie Lécallier
Graphisme : Lords of Design
55€
Disponible dans les bonnes librairies et en ligne.