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Editions Capricci : Philippe R. Doumic, sous son regard l’étincelle

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Dans les années 1960, le photographe Philippe R. Doumic, disparu en 2013, réalise de nombreux portraits des étoiles montantes du cinéma français : Godard, Bardot, Truffaut, Moreau, Belmondo, Deneuve… Œil au talent rare, ses images sont pour certaines devenues iconiques sans que son nom soit mentionné. Philippe R. Doumic, sous son regard l’étincelle est un portrait sensible, réalisé par sa fille documentariste, doublé d’une enquête menée par un collectionneur, qui ravive l’étincelle de cet artiste injustement éclipsé sort aujourd’hui en DVD et fait suite au livre Philippe R. Doumic, l’œil du cinema sorti en octobre dernier.

Laurence Doumic-Roux est la fille de Philippe R. Doumic, elle est l’auteure du texte suivant.

 

SOUS TON REGARD L’ÉTINCELLE

Derrière l’objectif, « l’artiste » c’est toi

Enfant, j’ai grandi entourée de tes visages, ils habitaient en grand format ton laboratoire photographique.

Les actrices et les acteurs : Brigitte Bardot, Jeanne Moreau, Alain Delon, Jean-Paul Belmondo, Catherine Deneuve, Françoise Dorléac, Annie Girardot, Lino Ventura, Jean-Pierre Cassel, Daniel Gélin, Jean Rochefort, Philippe Noiret, Danièle Delorme, Marie Laforêt, Maurice Ronet, Jean-Claude Brialy, Mireille Darc, Sami Frey, Jean-Louis Trintignant, Michel Piccoli, Marlène Jobert, Jean Yanne, Marie Dubois, Bernadette Lafont, Macha Méril, Jacques Charrier, Marina Vlady, Françoise Fabian, Marie-France Pisier, Claude Jade, Anny Duperey, Anna Karina, Alexandra Stewart, Jean-Pierre Léaud et bien d’autres…

Les cinéastes : Marcel Carné, René Clair, François Truffaut, Claude Lelouch, Jean-Luc Godard, Agnès Varda, Jacques Demy, Yves Robert, Bertrand Blier, Jean-Pierre Mocky…

Ils regardent l’objectif sans jamais vraiment poser. Ils ont parfois une cigarette à la main, un animal de compagnie dans les bras, un livre, un objet fétiche, un accessoire avec eux. Les regards sont doux, espiègles, rêveurs, volontaires, boudeurs, séducteurs, offerts ou plus intérieurs. Ils sont parfois en studio, mais plus souvent chez eux, dans la rue, en vacances, en voiture, en vélo, en bateau… Volontiers en mouvement ou aisément immobiles.

Sur ces images qui ont enflammé mon imagination se pose toujours le regard de l’enfant que j’étais alors. Puis viennent les souvenirs qui s’y attachent. Ce que tu me confiais de tes séances en compagnie des artistes.

Tu me parlais peu de toi photographe. Lorsque je te questionnais sur ton métier, tu me répondais que ce n’était ni un art ni un travail (pourtant nous en vivions), mais une passion, car la meilleure photo était toujours à venir. Tu me faisais le récit subtil de tes rencontres à travers des anecdotes personnelles. Grâce à toi, j’ai été dans le secret des dieux : Gérard Philipe, Michel Simon, Bourvil, Jean Marais, Louis de Funès, Michèle Morgan, Delphine Seyrig…

Derrière tes photos, je n’ai pas cessé d’interroger le photographe d’alors, le jeune homme, l’inconnu qui n’était pas encore mon père. Tu étais parfois plus jeune que tes célèbres modèles. Tu étais timide et franc, discret et enthousiaste, attentif et directif. Tu étais probablement impressionné mais ta sensibilité, ta probité te permettaient d’installer naturellement un climat de confiance, de créer les conditions d’une authentique complicité.

Tu ne cherchais jamais à imposer des mises en scène aux artistes, ils t’intéressaient pour ce que tu devinais d’eux. Tu aimais dépasser les représentations. Derrière l’image, tu cherchais à réaliser ce que tu appelais une « photo vraie », tu t’attachais aux personnalités et tes photos sans faux-semblants étaient souvent audacieuses, originales, décalées.

Certaines sont devenues emblématiques : Jean-Luc Godard regardant la pellicule de son film à travers ses lunettes noires, Brigitte Bardot recroquevillée sur un kart, Jean-Paul Belmondo rêveur, une cigarette au coin des lèvres. Qu’elles soient prises sur le vif ou naturellement organisées, elles nous saisissent par l’étincelle d’un regard et d’un geste que tu captures.

Nous sommes dans les années 60, tu travailles alors pour Unifrance. La retentissante institution œuvre avec un succès inégalé à la promotion du cinéma français dans le monde. C’est l’âge d’or, la consécration des vedettes d’avant-guerre, l’éclosion de nouvelles étoiles, l’irruption de la Nouvelle Vague. Durant une décennie, tes photos et celles de quelques autres proclameront cette incandescence du septième art en France.

Dans les années 70, la parenthèse cinématographique se referme doucement. Tu deviens reporter-photographe pour de nombreuses publications (principalement pour le magazine féminin Femmes d’aujourd’hui), puis tu travailles pour des galeries d’art, tu poses ton regard sur des œuvres et tu leur transmets ton étincelle de portraitiste, sublimant la matière par l’image, grâce à des techniques que tu es seul à connaître.

À la fin des années 90, tu t’installes définitivement dans le village de Souvigny, en Sologne, avec ma mère. Elle est atteinte de la maladie d’Alzheimer. Tu veux veiller sur sa mémoire, dans la maison des souvenirs heureux. Tu emmènes les meubles de ton laboratoire et tes photos avec toi. Tu les ranges, soigneusement triées et répertoriées, dans une petite chambre sombre. Au fil des années, la pièce se remplit d’objets. Tu vis au jour le jour, aux côtés de ta bien-aimée qui t’oublie doucement. Peu à peu tes photos s’endorment derrière les choses. Le poids du présent occupe tout l’espace, escamotant ton œuvre.

Le 6 décembre 2013, quelques années après ma mère, tu disparais soudainement. J’anesthésie la douleur en filmant tout ce qui me ramène à toi. Je filme tout.

Tout, sauf peut-être l’essentiel. Jusqu’au jour où…

La maison compte trop d’invités, il me faut aménager un lit dans ta chambre secrète, un espace dans ton chaos. Trier, ranger, bannir l’accessoire, conserver l’essentiel. Se rapprocher du passé, retrouver le photographe. Une centaine de dossiers et trois grands cartons refont surface. Je les ouvre sur des images qui sont restées dans l’ombre pendant près de soixante ans. Elles me ramènent d’abord à mon enfance, à vous, à la vie d’avant, pleine de promesses. Et puis il y a la beauté expressive de tes photos, indissociable de tes modèles. Je les montre à des proches, ils sont éblouis.

Des photos de toi émergent sur Internet, d’où viennent-elles ? Le fonds, les tirages, les négatifs originaux, tout est ici. Je pense à Unifrance Films, ont-ils conservé des tirages de tes photos ? Je fais la connaissance de Sébastien Cauchon d’Unifrance et de Bernadette Caille, une iconographe qui a retrouvé mes coordonnées. Sébastien m’encourage à me rapprocher des artistes pour en savoir plus sur ces images du passé dont certaines semblent si modernes. Nous nous appliquons à faire redécouvrir ton œuvre à un large public.

De cette rencontre naîtront plusieurs expositions et un film documentaire : Sous son regard, l’étincelle – que j’envisageais de tourner avec toi depuis longtemps, et que j’ajournais par pudeur probablement – diffusé sur les chaînes OCS et TV5 Monde. L’homme et l’artiste qui te composent y sont indissociables, tant le photographe inspiré fut fidèle aux dispositions de l’homme. Sensibilité, générosité, discrétion, simplicité, mais aussi franchise, détermination, discernement, force d’âme et un solide caractère. Les témoins (artistes, journalistes, membres de ta famille), ceux qui t’ont connu, ceux qui cherchent à se souvenir de toi, s’abîment dans tes photos, évoquent le passé, me livrent leurs clefs, sans jamais complètement déflorer ton mystère.

J’ai gardé en mémoire et consigné sur des cahiers tes observations. L’acuité de ton regard, l’étonnante complicité que tu tissais avec les artistes qui ont fait de toi un photographe « à part ». Tes photos ont su capter ces instants d’abandon où le modèle renonce à son image pour se dévoiler jusqu’à l’épure.

Derrière l’objectif, « l’artiste » (mot dont tu n’usais pas) c’est toujours toi. Je devine l’homme et le professionnel que tu étais au début des années 60, quelques années avant ma naissance. Tu avais l’âge de mes enfants, tes petits-enfants, et aujourd’hui, alors que je revisite ta vie avant moi, j’ai l’impression de te materner comme un fils.

Tes photos, ce trésor que tu nous as transmis, tes archives personnelles et familiales, agissent sur moi comme un révélateur. Dans ce bain de merveilles apparaît le portrait de celui dont le génie fut à la fois si proche de nous et si secret.

Laurence Doumic-Roux

Laurence Doumic-Roux est auteure et réalisatrice de nombreux documentaires. Parmi ceux-ci : Section enfants sauvages (2007), sélectionné au Cinéma du réel, De l’autre côté de la route (2011), Les Tribus de la récup (2016), Nos voix sont liberté (2020).

 

Éditions Capricci
www.capricci.fr

Philippe R. Doumic, sous son regard l’étincelle
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Philippe R. Doumic, l’œil du cinema
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