Jean-Philippe Charbonnier : il est l’un des plus grands des photographes français, l’un des plus méconnus aussi !
Une exposition de lui s’ouvre aujourd’hui à Montpellier réalisée par Emmanuelle de l’Ecotais et Gilles Mora.
Nous lui consacrons cette journée avec comme introduction, ce texte d’Agathe Gaillard avec qui il forma dans les années 70 et pendant 10 ans l’un des couples mythiques de la photographie française.
Merci enfin à Isabelle Sadys de l’agence Gamma Rapho, c’est à elle que l’on doit
la réalisation de cette journée.
Jean-Jacques Naudet
Jean-Philippe Charbonnier par Agathe Gaillard
J’avais quatorze ans, je revenais du lycée. C’était à Nîmes. j’avais un manteau gris pâle et des chaussettes de laine. J’ai vu une 2CV très remplie s’arrêter au milieu de la rue. Un homme en est sorti, laissant le moteur tourner et la portière ouverte. Il est allé, très vite, dans un tabac. Je ne sais pas si c’était pour acheter du tabac ou des journaux. Quand il est ressorti, nous nous sommes croisés, à trois mètres l’un de l’autre. Nous nous sommes regardés. J’ai pensé : je n’ai encore jamais vu un homme comme ça, il n’y a pas d’homme comme ça à Nîmes. Si on m’avait dit : un jour tu l’épouseras, j’aurais été extrêmement étonnée. C’était Jean-Philippe Charbonnier.
Par la suite, je suis venue à Paris et j’ai travaillé à la librairie-galerie La Hune, à Saint Germain des prés, au rayon des arts. J’y ai rencontré beaucoup d’artistes et de gens qui s’intéressaient à l’art, à des titres divers, dont Jean-Philippe Charbonnier. Je ne l’ai pas reconnu. C’est lui, après quelque temps qui m’a dit ( l’œil du photographe) : Je vous connais déjà, je vous ai vue à Nîmes. Il m’a raconté la scène, qui est revenue aussitôt à ma mémoire très précisément.
Avec lui j’ai appris ce qu’était un photographe, celui qui voit, qui pressent, qui déchiffre, qui devine.
Après je n’ai eu peur d’aucun photographe (ils font facilement peur aux gens), je les ai tous compris et presque tous aimés.
Jean-Philippe faisait beaucoup de bruit, et des pitreries, pour mieux passer inaperçu. Il a été élevé par des parents séparés, une mère, Annette Vaillant, issue de la bourgeoisie cultivée,(son père et ses oncles, les frères Natanson étaient des amateurs d’art, collectionneurs et mécènes, sa mère, Marthe Mellot était une comédienne célèbre ) et un père, Pierre Charbonnier, peintre, plutôt bohème et décorateur des films de Robert Bresson. Ayant grandi dans cette double ambiance, Jean-Philippe était à l’aise dans tous les milieux. Il n’avait peur de rien, ni de personne.
Naturellement, comme tous les photographes, il était très observateur. Rien ne lui échappait, il devinait tout. Dans un restaurant, il savait le métier des gens, et s’ils travaillaient dans une grande société, une compagnie d’assurances, par exemple, il savait à quel poste. Il me disait : « quelqu’un que tu ne peux placer dans aucun métier, alors, c’est un flic »
Je l’ai accompagné dans beaucoup de voyages, je le suivais quand il travaillait et j’observais passionnément comment se pratique ce métier de photographe. Je voyais l’attente, l’observation aiguë même si elle est invisible, l’intuition que quelque chose pouvait advenir.
Je voyais comment, d’une réalité quotidienne surgissait de façon figace la photographie, un moment où chaque détail, miraculeusement, avait un sens.
Son regard sur les gens, qu’on trouve quelquefois acerbe et sans pitié, à première vue, était bienveillant. Peut être était il bienveillant quand il sentait que ces gens pouvaient être la matière d’une photographie et il leur en était reconnaissant…
Parmi toutes ces photographies, j’aime particulièrement, elle me bouleverse, celle du »fils qui danse avec sa mère « Bal à Aubusson, prise en 1959. Dans ce bal populaire, ils semblent avoir très peu d’amis, ils ne sont pas beaux, personne n’aurait envie de danser avec eux… Mais c’est quand même une femme, c’est quand même un jeune homme .Ils sont émus, intimidés, mais heureux.
A la fin de sa vie, un jour où je me plaignais du manque de grâce des abords de certaines villes, envahis d’entrepots et de vilaines constructions, il m’avait dit, songeur : » Rien n’est laid «
Jean-Philippe m’a tout appris de la Photographie et de ses confrères prestigieux J’étais étonnée que ces gens, que je trouvais admirables, soient si souvent considérés comme des illettrés ou des voyous .Ils étaient des auteurs, ce n’était pas leur appareil qui faisait les photos, c’était eux, et certains étaient de grands artistes. Je sentais qu’il fallait « faire quelque chose » pour « la reconnaissance de la photographie comme art »
Jean Philippe m’a comprise et encouragée. Il m’a aidée à créer cette galerie, rue du Pont-Louis-Philippe en 1975.
En 1978, nous nous sommes séparés. C’était triste, mais nous avions crée ce pour quoi le destin nous avait fait nous rencontrer.
Agathe Gaillard
Jean-Philippe Charbonnier – Raconter l’autre et l’ailleurs (1944-1983)
du 5 février au 19 avril 2020
Pavillon Populaire // Espace d’art photographique de la Ville de Montpellier
Esplanade Charles de Gaulle, 34000 Montpellier