La photographie est un saut qui transforme le temps en espace. C’est très bref, ça va durer longtemps, aucune limite, aucune frontière, on est sur une autre planète, ici même, la liberté règne. Vous voulez une collision de détails ? La voici. Un visage ébloui de femme ? Un angle de ville ? Une nudité torsadée ? De la lingerie ? Un bébé ? Des pyramides ? Un artiste en train de réfléchir ? Voici encore. Il suffisait d’être là. Comme il est étrange que personne ne soit jamais là.
Dominique Issermann semble ne connaître que deux lois : intérieur très privé, dehors vide. La vie humaine est un luxe inouï, mais précaire et fragile. Elle vibre, mais elle est sans cesse menacée. On fera donc sentir cette plénitude suspendue par des photos contradictoires, le blanc devient noir, le noir blanc. Ce luxe est en danger, le désert parle. Rien d’arrêté : tout s’élance sur place vers une disparition sans but.
Les Twins Towers, dès 1977, brûlent dans le brouillard, mais remarquez bien, au premier plan, ces larges traces de bulldozers absents. Une felouque sur le Nil, il y a vingt ans, s’enfonce dans une lumière des millénaires. Dix ans plus tôt, des pyramides survivaient déjà à un désastre oublié. Vous pouvez aussi rêver que, voyageur sur la terre, vous débarquez en surplomb à la Grand Central Station de New York. Une femme de soie blonde vous attend en déshabillé noir dans une chambre d’hôtel, fenêtre de soleil, rideaux, elle est couchée de dos, elle a gardé ses souliers à talons, elle tend la jambe droite au-dessus du lit, pas de visage, cheveux ébouriffés, on n’en veut plus d’autres pour l’instant, elle est magnifique. Ou encore (grand chef-d’œuvre) que fait cette jeune femme de dos, en chapeau noir, avec ce collier, dans un motoscafo sur la Giudecca, à Venise ? Elle vient d’arriver, elle a un rendez-vous ? Oui : avec rien. La vie est ce splendide rendez-vous avec rien.
Philippe Sollers
Philippe Sollers est un écrivain et philosophe français, co-fondateur de la revue Tel quel, en 1960, et auteur d’essais, biographies et romans. Ce texte a été publié en préface d’un numéro Reporters sans Frontières consacré à Dominique Issermann en 2004.
Dominique Issermann, A l’aéroport Charles de Gaulle de Paris
Du 3 novembre au 9 décembre 2016
Dans les 8 terminaux de l’aéroport
Aéroport Charles de Gaulle
95700 Roissy-en-France
France
http://www.dominiqueissermann.com/
http://www.parisaeroport.fr/passagers/services/actualites/d-issermann