A la mort de François Mitterrand
Avec la distance distance, j’aurais dû le prévoir. Il m’avait permis de l’accompagner pendant la campagne électorale qui l’avait conduit a la présidence de la France. Après il m’attrapa dans la toile d’araignée de ses machinations et je suis resté prisonnier de ses largesses.
Il me laissait approcher quand il voulait et d’autres fois son regard me disait qu’il acceptait ma présence, mais pas l’acte photographique. Dans un dialogue qui s’est étendu de 1977 à 1995, l’intermédiaire a toujours été l’objectif de ma caméra. Il m’a fait cadeau de moments incroyables, petits gestes intimes et situations de combat politique.
Par-dessus tout il a toujours été le chorégraphe et je pus seulement danser au son de l’image qu’il avait de lui même. Son cerveau semblait fonctionner sur deux voix parallèles: une s’occupait des bagatelles quotidiennes et l’autre de mener le destin de la France sur le chemin qu’il avait prévu. En réalité il survolait au-dessus des simples mortels tandis qu’il manipulait les leviers invisibles qu’aucun ne semblait percevoir.
Il était un solitaire, un grand séducteur qui cachait sa timidité innée avec les fleurs du langage.
Quand je l’avais rencontré a nouveau en mai 1995 pour le photographier pendant les derniers jours de sa présidence, ses premiers mots furent: “merci” et tout de suite “ayez pitié de de mon visage”. Dans son dernier voyage à Moscou, pour célébrer avec le reste des chefs d’État les 50 ans de la fin de la Deuxième Guerre mondiale, je l’ai vu reprendre des forces du néant.
Les photographes chérissent toutes leurs images. Celles dont François Mitterand m’a fait cadeau sont mes préférées. Pour cela je lui dis aussi: merci.
Diego Goldberg
Publié dans le journal Clarin de Buenos Aires, Argentine, le 9 Janvier, 1996.