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Des villes et des hommes : un regard sur la collection Florence et Damien Bachelot

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L’Hôtel Départemental des Arts, à Toulon, expose du 10 février au 22 avril la collection Florence et Damien Bachelot, au travers d’une sélection de 150 photographies qui explorent la thématique « Des villes et des hommes ».

Par leur intérêt pour le réel, l’urbain, son évolution et sa complexité, une partie importante de la collection du couple Bachelot s’attache à une réflexion sur la place de l’homme dans la société et dans la ville. Il s’agit souvent d’images qui s’organisent autour des métropoles, de l’architecture, de la marche dans la rue et de la perception de l’espace moderne.

Pour cette exposition à Toulon, les deux commissaires, Françoise Docquiert et Ricardo Vazquez, ont donc sélectionné dans la collection du couple près de 150 images. La photographie humaniste, qu’elle soit française ou américaine, est bien sûr ici bien représentée mais le public y découvrira également des travaux issus de la rue américaine, du reportage ou de la photographie contemporaine. Avec notamment : Diane Arbus, Brassaï, Gilles Caron, Bruce Davidson, Elliott Erwitt, Mario Giacomelli, Harry Gruyaert, Saul Leiter…

Des villes et des hommes invite ainsi à parcourir une histoire des regards portés par les photographes sur les hommes qui cherchent une place dans un espace urbain changeant et difficile à appréhender. Le titre n’est d’ailleurs pas sans rappeler le célèbre ouvrage de John Steinbeck dans Des souris et des hommes ‐ l’Amérique bien que souvent plus rurale qu’urbaine donne toujours une place centrale à l’homme ‐ se situe indéniablement dans cette double dimension des préoccupations sociales et esthétiques de la photographie française comme américaine.

Chacun des photographes a eu la particularité d’anticiper la ville à sa manière. Tous égrènent des récits successifs, où la place de l’homme est intacte, manipulant leurs images comme une arme corrosive contre la banalisation du monde. Certains participent à l’élaboration d’une vision noire et oppressante de la métropole. L’Américain Weegee a surtout photographié la nuit new‐yorkaise, sa faune particulière, ses crimes et ses désastres. Arrivé sur les lieux souvent avant la police, il conserve, toujours, de l’empathie pour ces victimes urbaines parmi les plus pauvres, qui vivent souvent dans une complète solitude. D’autres préfèrent changer l’image de la photographie documentaire en regardant les marges et en constituant ainsi une sorte de contre‐utopie. Diane Arbus, avec Boy with a Straw Hat Waiting to March in a ProWar Parade, NYC, 1970, livre en un seul cliché une description de l’Amérique nationaliste. Se voulant aux antipodes de la photographie sociale de ses aînés, Arbus révèle, avec ses portraits frontaux, l’absolue étrangeté et la singularité de chacun, et annonce déjà Nan Goldin ou Cindy Sherman.

Mario Giacomelli, plus poète que photographe, par fidélité à son passé de graveur, a toujours privilégié le noir dont il use comme d’une couleur ; il parle d’outre‐noirs. Ses clichés témoignent d’un regard abrupt, grinçant et ironique, jamais méchant. Preuve en est sa série sur les séminaristes, tendre et burlesque, d’après un texte de David Maria Turoldo et dont les Bachelot ont acquis un tirage argentique de 1963.

Moins nombreux sont ceux qui dessinent l’image d’une ville généreuse à l’instar de Brassaï, qui dès 1930, a trouvé avec la photographie le moyen de représenter le quotidien tel qu’il le vit. Il livre une image de Paris mystérieuse, magnifiant la banalité de certaines figures humaines éclairées par le filtre du brouillard ou de la pluie, renforçant une forme par le contre‐jour ou par l’éclat d’un flash. Doisneau a apporté inlassablement aux rues des Paris et à leurs habitants une histoire constituée de coups d’œil et d’ironie bienveillante, qui fait de lui un « documenteur » de la vie ordinaire de la seconde partie du XXe siècle.

D’autres clichés présentés dans l’exposition Des villes et des hommes évoquent le fait politique, des événements, ou encore la dimension coercitive du pouvoir. Ils montrent alors et activent les médiations qui permettent de se constituer comme individu, dans le rapport à l’autre, au groupe ou à la société. Le grand format de Luc Delahaye, A Rally of the Opposition Candidate Alexander Milinkevich, en référence à l’opposant politique biélorusse, est la première exception à la règle du noir et blanc que s’imposent les Bachelot. Au premier plan, une foule de visages d’anonymes et, au loin, des immeubles. Delahaye neutralise en toute conscience certains détails, en simplifiant les valeurs, et reconsidère le cadrage. Il construit là un véritable alphabet qui assure un certain niveau de cohésion entre les éléments et leur donne une fonction critique. Et Mike Smith et son cliché iconique : Martin Luther King, marche de Selma à Montgomery, Alabama, ÉtatsUnis, 1965, autant par la force du sujet que par l’incroyable qualité de la prise de vue. Bruce Davidson et sa série bien représentée dans la collection Bachelot – 100e Rue –, sur les habitants et la vie d’une rue du quartier noir de Harlem, qualifié souvent de photojournaliste social, propose un travail autour des déshérités, des laissés‐pour‐compte.

Parmi toutes les photographies exposées, on trouvera également celles de Robert Frank, avec sa série Les Américains dont le traitement des images au Leica interroge à l’époque et lui vaut un accueil très mitigé. Josef Koudelka et ses images d’errance. Elliott Erwitt et l’humour toujours grave de ses clichés. Dorothea Lange avec un tirage exceptionnel sur le premier camp de migrants de Marysville en Californie. Joel Meyerowitz qui, depuis 1970, privilégie la couleur et les rues de New York d’où il est originaire. Ainsi que les lieux désertés d’Adrien Boyer, jeune photographe entré récemment dans la collection Bachelot.

Au milieu de toutes leurs acquisitions, les Bachelot ont eu une relation privilégiée avec l’Américain Saul Leiter, autre pas de côté vers la couleur. Avec plus d’une quarantaine de tirages, ils ont contribué à la reconnaissance de cet immense photographe. Dès les années 1950, Saul Leiter donne aux rues de New York un statut particulier, peut-être par son usage de la pellicule couleur dont il joue comme le pouvait faire en peinture Mark Rothko, qu’il admire. Il aimait à se déclarer sensible à une certaine ambiguïté, à une certaine confusion dans ses images traçant avec intelligence, justesse et authenticité un langage de la réalité très peu conventionnel. Florence et Damien Bachelot soutiennent également le travail du photojournaliste Gilles Caron, disparu au Cambodge, et ils en ont rassemblé un ensemble exceptionnel. Comme celle d’Henri Cartier‐Bresson, la photographie de Caron représente la synthèse et l’apogée d’une esthétique née à la fin des années 1920, appuyée sur le noir et blanc et le petit format. Son application au reportage de guerre produit des images à la fois mystérieuses et lisibles, au pouvoir d’évocation alors inégalé.

 

Des villes et des hommes : un regard sur la collection Florence et Damien Bachelot
10 février au 22 avril 2018
Hôtel Départemental des Arts – Centre d’art du Var
236 Boulevard Général Leclerc
83000 Toulon
France

https://www.var.fr/culture/hotel-des-arts

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