Depuis 67 ans, le laboratoire Picto s’est imposé comme leader du marché de la photographie alliant savoir-faire et nouvelles technologies. Retour sur l’histoire de ce labo de référence avec Philippe Gassmann, petit-fils du fondateur de Picto et directeur du lieu et Vincent Marcilhacy qui dirige la Picto Foundation.
Une histoire d’amitié
Le laboratoire Picto est né dans l’après guerre des années 50. A l’époque, des photographes tels que Cartier Bresson et Robert Capa se retrouvent souvent dans le quartier de Montparnasse pour discuter de photographie. Parmi eux, Pierre Gassmann s’essaye aussi à l’image mais il se rend vite compte de ses limites en tant que photographe. Il part régulièrement à la recherche de clichés dans les quartiers de Paris avec Henri Cartier Bresson, ils font des prises de vues ensemble puis des tirages. La répartition des tâches se fait alors naturellement entre les deux hommes, Henri est un très bon photographe, Pierre un meilleur tireur. C’est ainsi que naît le laboratoire Picto, sorte de concrétisation instinctive du savoir-faire de Pierre. Instinctive car lorsque le premier labo s’ouvre rue de la comète dans une ancienne clicherie, c’est le premier laboratoire professionnel d’Europe. Tout est alors à faire, il faut inventer les techniques, créer les passes vues, former une équipe… L’ouverture du laboratoire coïncide avec les débuts de Magnum dont Pierre sera d’ailleurs un actionnaire symbolique. L’agence sera son premier gros client puisqu’entre 1954 et 1967, 90% des tirages des photographes de Magnum sont réalisés ici. Henri Cartier Bresson sera le plus fidèle d’entre eux. Il est resté chez Picto de 1950 à 2004, année de sa mort qui fut aussi celle de son fidèle ami Pierre Gassmann.
Une affaire de famille
Chez Pierre, tous les soirs autour de la table on parle Picto. Edy Gassmann, son fils, rentre dans la société à 21 ans. Il apporte un regard neuf sur l’entreprise et introduit la couleur. Pierre a travaillé en noir et blanc toute sa vie. Ayant voyagé aux Etats-Unis et en Italie, Edy se forme aussi à la diapositive, au photomontage et à la retouche manuelle qui en est alors à ses débuts. Dans les années 60, le père et le fils ouvrent un deuxième établissement rue des entrepreneurs. Commence alors la période glorieuse du laboratoire, Edy ouvre même des filiales en province. En 1990, c’est au tour de Philippe Gassmann, fils d’Edy, d’intégrer l’entreprise. Il opérera le tournant du numérique. À l’époque où il arrive, la société fonctionne bien et il vient avec un projet de retouche numérique. Il sort à peine de l’école et se forme directement sur place. En 2004, suite à la mort brutale et accidentelle de son père, Philippe reprend la société. Le numérique ayant pris une place considérable sur le marché, l’heure de gloire du 24×36 est derrière eux et l’argentique est en mauvaise posture. L’entreprise emploie alors 260 salariés. Pour survivre, il va falloir s’adapter. Entre 2002 et 2012, une réduction conséquente des effectifs a lieu, des labos ferment mais Picto reste debout, opérant un bouleversement au sein de l’entreprise vers une transition numérique.
De l’argentique au numérique
Dans les années 2000, Picto est le reflet du passage de l’argentique au numérique. Le squelette de l’entreprise se transforme, il faut intégrer de nouvelles technologies comme le jet d’encre, les impressions UV ou pigmentaires, et la partie retouche prend une place considérable. Entre 2002 et 2008, l’équipe s’adapte et se réduit. Mais en 2008 arrive la plus grande crise économique qu’ait connu l’Europe, réduire la voilure ne suffit plus. Se pose alors la question de se réinventer une nouvelle fois. Avec son fidèle collaborateur Michel Vaissaud, Directeur de la Production et de la Recherche, Philippe décide de se lancer dans la prestation online, c’est à dire de modéliser complètement le labo et proposer l’ensemble des prestations sur internet. Picto est le premier laboratoire à prendre cette décision et la réponse des clients est immédiate. Les photographes, dont le métier est aussi en crise à l’époque, avaient besoin d’accéder à des tirages plus abordables. Le online offre cette possibilité. Aujourd’hui, les prestations internet représentent 20% du chiffre d’affaire de l’entreprise. Même si le numérique a bouleversé le milieu, l’argentique continue aujourd’hui de représenter 50% du volume de tirages réalisés par le labo. Et comme chez Picto, on ne s’arrête jamais, le dernier challenge en date est l’ouverture l’an dernier d’un laboratoire à New York. « On a regardé le marché. On n’a pas trouvé de proposition identique qui offre un service online pour les professionnels là bas, alors on s’est installé » explique Philippe, persuadé qu’il y a une place à prendre…
Une relation complexe du photographe et son tireur
On néglige souvent l’importance du tireur dans la carrière du photographe. Philippe Gassmann dit qu’ « il travaille au noir », et que « celui dans la lumière, c’est le photographe ». Pourtant on voit que la tendance est au changement. De plus en plus de festivals et de foires citent le nom des tireurs ou des labos. Malgré cette évolution, il faut de l’humilité pour tirer et travailler dans l’ombre du photographe. Être en retrait et avoir un rôle de complice et de conseil. C’est dans la force de cette collaboration que s’établit la durée de la relation. Plus la complicité est grande, plus la relation est longue. Et des photographes comme Josef Koudelka, Peter Lindbergh ou Serge Lutens ont bien compris son importance. Lutens parlant de sa retoucheuse disait « nous ne formons pas un couple car un couple reste deux, dans notre relation cela devient unitaire ». Dans cette affirmation, on retrouve naturellement l’ancien slogan du labo « Voir dans le regard de l’autre ». Josef Koudelka raconte avoir cherché chez Picto « un tireur qui pense comme lui, pas un technicien, ». Mais parfois le rôle du tireur peut dépasser celui de complice, comme ce fut le cas entre Pierre Gassmann et Henri Cartier Bresson. En tant que photographe Henri était très attentif au fait qu’on ne coupe pas son image lors du tirage, Pierre a alors développé un passe vue spécialement pour lui, laissant les bords noirs autour de l’image pour être sûr que rien n’ait été coupé. Un détail qui est devenu sa marque de fabrique.
Au delà du labo, la Picto Foundation
Créé il y a plus d’un an, le fonds repose sur une mission historique et patrimoniale. Pour Vincent Marcilhacy, le fonds de dotation doit « assumer la place particulière occupée par Picto de par son histoire et sa construction dans la grande histoire de la photographie ».
Pour se faire, Picto s’engage à soutenir les photographes, les différents acteurs de la photographie et axe sa politique principalement sur la scène émergente car selon Vincent, « c’est bien l’émergence qui nourrit l’avenir du métier, tout comme l’activité de laboratoires comme Picto ». Trois angles sont abordés, la promotion de la photographie à travers l’accompagnement de différents prix comme la Bourse du talent ou le Prix Picto de la Mode. Le partage de la photo par le biais d’expositions et de livres d’art. Illustrant cette mission, la Picto Foundation a rejoint depuis plus d’un an le prix Niepce. « L’idée est de créer un transversalité, une rencontre entre les besoins du photographe et les savoirs faires des artisans de Picto » explique Vincent Marcilhacy. Le prix pour le lauréat se matérialise par la création et la fabrication d’un objet d’artiste avec les artisans de Picto. Le dernier volet de la politique de la fondation est la préservation de la photographie, mission essentielle car Picto est aujourd’hui reconnue comme entreprise du patrimoine vivant. Le prolongement de ce savoir faire se fait à travers l’accompagnement d’étudiants et d’enseignants d’écoles de photo mais aussi la création cette année d’une collection tournée autour de l’objet photographique. Encore un nouveau challenge pour le laboratoire Picto…
Cet article a été écrit par Marie Crouzet, à l’issue d’un entretien public organisé par l’association Profession Photographie et mené par Clara Bastid à la Chata Gallery le 26 avril 2017.