Il s’agit du seizième dialogue de la Collection Ettore Molinario. Un dialogue dédié à cette étape de volupté et de personnalité féminine que représentent les chaussures. Des chaussures à talons, bien sûr, photographiées par Monsieur X et Helmut Newton, des maîtres extraordinaires, l’un anonyme et l’autre mondialement connu, qui, même sans s’être jamais rencontrés, se seraient immédiatement compris. Ils étaient amateurs à la fois des femmes et de chaussures. Et marchant ensemble avec leurs créatures, nous vous souhaitons de bonnes vacances et vous donnons rendez-vous en septembre pour nos nouveaux rendez-vous.
À l’origine, les talons hauts étaient réservés aux hommes. Une commodité qui permettait une prise plus sûre sur les étriers à cheval. Un privilège, car les rois avaient droit à la hauteur du trône même en marchant, un trône couleur carmin pour être précis, comme le talon rouge qui haussait la stature de Louis XIV. Ce jeu d’échasses et d’échassiers aurait continué à merveille si Napoléon en 1804, à l’occasion de son sacre comme empereur, n’avait pas préféré les souliers plats à l’ascension plus aristocratique. Et oui, l’homme était petit, mais son ego n’avait certainement pas besoin de trucs d’Ancien Régime.
Pour les femmes, les talons servaient surtout à protéger les vêtements de la boue, mais même vis-à-vis de ce simple dispositif, le néoclassique avait préféré imposer l’humilité plantaire. Heureusement, tout change à l’époque victorienne et change car, depuis 1839, la photographie enregistre le retour aux chaussures de plus grande hauteur. Face au réalisme du cristallin, ces prothèses de pied allongent les lignes du corps et les rendent plus belles et plus désirables. Déshabiller une femme, oui, la découvrir dans ses recoins aussi, mais les chaussures doivent rester. Pour une autre raison aussi, comme l’avait bien deviné le mystérieux Monsieur X, membre de la haute bourgeoisie française, qui dans le Paris des années 1930 aimait à mettre en scène les filles d’une maison proche de Pigalle. Jamais de nu intégral, quelle banalité, mais toujours un manteau sur peau très claire, une chemise en soie, un chapeau et toujours des chaussures, même là où les jambes ouvertes montrent l’origine du monde, car ce sont les chaussures, accompagnant chaque pas du quotidien de la vie, pour donner une vérité au corps des femmes et au désir qu’il suscite.
Même Helmut Newton, qui a grandi dans les années 1930 à Berlin, dans la ville qui faisait porter aux femmes toutes les perversions, n’aurait pas renoncé aux chaussures noires, brillantes, à talons aiguilles, parce qu’il voulait parler de vraies femmes et de vrai pouvoir féminin, malgré des protestations que ses images soulevaient à chaque fois. Et ainsi même sous le soleil de la Riviera de Monte-Carlo, Newton, qui aimait le regard de Franz Rehfeld, Brassaï et Charles Guyette, offrait à ses amazones le décolleté le plus vertigineux. Un masque pour faire la nuit pendant la journée, les cheveux ébouriffés non seulement par le vent, des talons hauts et le désir pourrait marcher en toute sécurité et satisfaction. Et les Cendrillons, armées de la pudeur feinte des chaussures basses, irréelles faute de pouvoir de séduction, resteraient chez elles, au coin du feu.
Ettore Molinario