Il s’agit du douzième dialogue de la Collection Ettore Molinario. Un dialogue qui parle de la lune et de la femme qui a surtout su interpréter toutes les influences lunaires, la marquise Luisa Casati. Un dialogue, qui plonge dans l’obscurité de l’espace, frontière dans laquelle la photographie était déjà plongée en 1840, et dans l’obscurité d’autres dimensions. Rendant hommage au pouvoir de séduction de la lune, je vous invite à suivre nos prochains rendez-vous.
Ettore Molinario
Elle ne voulait pas entendre parler du soleil ni même le voir. Et si elle le pouvait, elle l’aurait assombri jusque dans le ciel, si bien que le jour deviendrait une très longue nuit. Tout au long de sa vie, une vie consacrée au théâtre d’elle-même et au spectacle de ses inventions, la marquise Luisa Casati a été une femme lunaire, de cette folie lunatique, hypnotique et transformatrice, qui détourne les flux et pousse les êtres les plus courageux à explorer d’autres dimensions. Même celle de l’au-delà. La marquise aimait, ainsi que le baron Adolph de Meyer, son hôte à Venise, au Palazzo Venier dei Leoni, évoquer les esprits et les interroger. Parmi les plus réticents «à être traqués et à sortir de son silence», a admis Casati, figurait celui de la princesse Cristina Belgiojoso, qui aurait gardé le cœur de ses amants et même embaumé le corps de l’un des plus jeunes et le plus beau.
La marquise n’avait pas osé autant, car en réalité elle était allée plus loin, mourant d’ennui après chaque baiser, et arrêtant même les battements de son cœur pour échapper à la fusion de l’étreinte, comme s’en plaignait Gabriele D’Annunzio, son amant. Mais alors l’envie de conquête resurgissait, ses yeux verts comme l’absinthe se rouvraient, et le corps avait soif d’une nouvelle peau, peut-être même d’une nouvelle robe, une de ces robes de scénographie qu’elle porterait dans les soirées grandioses, ces soul-dress qui sur elle ressemblait à «la cendre sur les charbons», comme dans les mots de D’Annunzio.
Casati est entrée en scène et c’était comme si la vie des autres, ordinaire même dans la richesse, s’était éteinte. Et elle fut effacée parce que cette femme magnifique et solitaire portait la marque de la mort lunaire. Une lune jamais pleine, en fragments, un pour chaque victime, un pour chaque cœur brisé, un pour chaque portrait que les artistes, pris par l’enchantement eux-mêmes, ont dédié à la Divine Marquise, du Baron de Meyer à Man Ray, du Cecil Beaton à Giovanni Boldini.
Même en vieillissant, Casati est restée fidèle aux heures lunaires. Dans son petit appartement londonien où elle a passé ses dernières années, ses rideaux étaient définitivement fermés et un voile noir couvrait son visage. Elle était loin d’être triste, malgré le fait que tout le monde l’avait abandonnée et qu’elle était maintenant dans la misère. « Le malheur dégage une mauvaise odeur » rappelle la marquise. Et après tout, quand on est une femme lunaire, on s’habitue à disparaître du ciel et à briller à nouveau dans les nuages.
Ettore Molinario
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