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Cléo-Nikita Thomasson : Le Complexe du homard

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 « Jouer aux anthropologues » s’avère de nos jours un brin désuet. Les sciences holistiques n’intéressent plus grand-monde, sinon sous couvert de relectures sévères. Cette discipline des caractéristiques physiques, sociales, politiques, religieuses et culturelles d’une société donnée semble peut-être trop large pour le regard devenu sociologique, rendu précis, surfocalisé.

Guerre de clocher ? Amorce creuse ? Intention curieuse ? La photographe Cléo-Nikita Thomasson revendique l’habit de cet observateur en-dedans, qui par son regard, embrasse tout. Sa série Le complexe du homard restitue l’atmosphère des vies d’adolescents suivis plusieurs années durant. Jouer aux anthropologues n’est pas ici singer un métier ni une méthode, mais s’étourdir et s’émerveiller devant des êtres aux instants chaque fois altérés.

Il y a dans ces œuvres huit ans d’un regard fondé sur l’exploration des intimités. Dans l’adolescence se constituent les pensées et les corps, s’ancrent les érotismes et les hontes. Ce moment fondateur est devenu topique — au cinéma comme en photographie — tout en étant mieux documenté. Reste qu’il fascine par ses fragilités et ses affirmations.

« Je photographie l’atmosphère entre nous », écrit avec simplicité la photographe. « Ce sont eux qui m’accueillent chez eux aujourd’hui, je me fais petite, j’enlève mes chaussures et je rentre dans leur vie de tous les jours comme ils sont entrés dans ma chambre il y a huit ans, mon intimité ».

Les corps de Nine, Magda, Alex, Suzanne se voilent chez eux sous son regard, avec parfois la retenue gauche des corps balbutiants. D’autres se découvrent parfois un peu factieux dans l’abandon du plaisir d’être nu. Bon nombre disent les pensées impénétrables, la naissance d’une intériorité.

Il est curieux de trouver à la photographie cette faculté à saisir le soi. L’image s’épuise en un instant et il faut des phrases, des péripéties, des romans, vingt-quatre cadences seconde pour dire l’altérité d’un être. Pourtant l’image seule cristallise fragile une somme d’altération, peut-être faites de projections et d’imaginaires, quand elle fige un être. Plus qu’un art de l’immédiat, la photographie poursuit une pensée fugace. Cette fierté de l’œil, cette épaule rompue, cette mèche colorée hors du monde, cet abandon

Je crois naïvement peut-être qu’à voir ces images s’épuise toute l’arrogance de nous adultes. Que les certitudes s’écroulent, que la mémoire de ces années de traverse miroite à nouveau plus luminescente. Ce sont des images empathiques, des redécouvertes. Le carnet de ce que nous fumes, et qui nous traversent encore. « En ce moment, j’ai besoin de quelqu’un, ou de quelque chose, mais je ne sais pas de qui ou de quoi, de là je finis par ne plus savoir quoi ressentir. Alors, je ne sais pas, plus ».

« L’été de mes vingt ans a été le plus beau des étés. Comme un titre de roman trop pudique » écrit une de ces intimités photographiées. Le complexe du homard n’est pas que photographique. Il se décline en photographie et en carnets de note. Les intimités dévoilent des pensées fugaces, des questionnements au long cours. « Les photographies parlent et les textes montrent » écrit Eric Prémel dans une inversion simple et juste. Cet entremêlement souligne la délicatesse, sinon la pudeur de la photographe devant ces différentes vies.

Et l’imaginaire se prend à rêver de leurs aventures. Il se met à chercher frénétique dans les visages ce souvenir estival. Est-ce ce sourire discret et lascif, dans la lumière tombante ? Il se fantasme d’autres étés, faits des siens, faits des autres, la somme de ceux poussés lents dans l’ennui et ceux enfin tumultueux des premiers amours. Il égrène ces fictions, en quelques mots et une image.

Le regard de Cléo-Nikita Thomasson suscite frustration et imagination. Peu importe que ce regard soit documentaire, portraituré, anthropologique. La série forme avant toute étiquette superflue un miroir pour soi, avec l’impression de saisir dans ces intimités des fragments de ce que nous sommes. Dans Le Bois du chapitre, Pierre Bergounioux parle « d’accorder, s’il se peut, s’il en est encore temps, ce qu’il y a et ce qu’on est ». Voilà tout l’atmosphère saisi dans les photographies de Cléo-Nikita Thomasson.

 

www.cleo-nikita.com

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