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Claude-Maurice Gagnon – La photographie comme journal intime

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Dans cette série intitulée Autoportraits, narration et obsessions (2019) et en m’inspirant de plusieurs versions, c’est le mythe de Narcisse qui a été mon fil conducteur, ce grand chasseur proclamé tel par ses pairs, lequel en découvrant l’image de sa grande beauté reflétée à la surface de l’eau d’une source en tombe éperdument amoureux et cesse de pratiquer la chasse. Par la découverte inattendue de sa beauté Narcisse réalise son pouvoir d’attraction, tant auprès des hommes que des femmes, renie l’amour que lui porte la déesse Écho, se détache de ses proches, se coupe de la réalité jusqu’à sombrer dans la folie et commettre l’acte suprême du suicide. C’est principalement le côté sombre et pathétique de son destin qui m’a interpellé car dans ma photographie cet aspect est récurrent.

Mes autoportraits sont des espaces de transformation physique et psychique puisque je ne recherche pas la ressemblance sans pour autant la rejeter. Je considère la représentation de mon visage comme celle d’un personnage sur lequel je projette mes sentiments du moment, mes fantasmes et obsessions, mes peurs et angoisses, ma solitude, mon rapport à la dépression et à la folie. Ce personnage aux multiples facettes que je mets en scène n’est pas tout à fait moi mais il est inséparable de la perception de mon « self » qui est narcissique. Dans mon travail sur l’autoportrait, je fais de ce personnage, ni réel, ni irréel, ce miroir qui m’est essentiel pour mieux me définir. Disons qu’il est l’Autre en moi ce qui rend mon œuvre très intimiste et s’inscrivant dans le registre dialogique du personnel et de l’universel. Pour mieux entraîner le lecteur dans la narration photographique de mes autoportraits, j’inscris des mots : des mots qui me disent en écho à mes images.

Symboliquement, dans l’Autoportrait No 1, j’ouvre cette série en mettant l’accent sur l’œil et le regard car ce sont les éléments qui permettent à Narcisse de s’éprendre de lui-même jusqu’à considérer sa différence. Dans cet autoportrait j’énonce que je m’identifie à l’œil et au regard narcissiques de même que je lie l’œil et le regard du photographe à ceux du fou. Tant Narcisse que le photographe sont obsédés par l’acte de voir, de se voir, de voir le monde d’une manière obsessive.

Dans les autres photographies j’incarne l’aspect morbide de la personnalité de Narcisse devenu fou. Je fais allusion à des événements noirs de ma vie : enfance perturbée, mauvais père, première thérapie psychologique entamée avec ma première année scolaire, ce qui m’apparaît comme une intrusion radicale liée à une volonté de changer ma personne. J’y reconnais ma différence, je refuse de continuer ce traitement. J’avoue à ma mère que je voudrais devenir danseur de ballet aussi beau que Nouryev : elle me gifle et me dit de ne plus jamais redire ça, même de ne plus jamais y penser. Fracture du miroir. Double fracture : je reconnais que j’aimerais être une fille. Dès lors, une évidence me guide : il faut porter sa croix car la vie est un long, pénible et absurde chemin de croix. Dès l’adolescence, dans ma sexualité, le désir d’homme m’habite. Et puis, dans la confusion de mon identité de genre et sexuelle, les remords s’installent. Psychologiquement : je paralyse. La dépression m’isole. Dans la noirceur de mes nuits blanches j’entame un dialogue intérieur et je m’accroche à la photographie. J’adore celle de Nan Goldin et de Hervé Guibert, celle de Cindy Sherman et le narcissisme d’Andy Warhol me passionne. Je réalise des tas d’autoportraits. La photographie me sauve la vie. Nous sommes à la fin des années 1990.

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