Doyenne des œuvres de Chris Marker présentée cette année à Arles, Coréennes est le récit en images et en textes d’un voyage en Corée du Nord à la fin des années 50. Une balade dans le quotidien de son peuple qui déprise les reportages à sensation d’aujourd’hui.
En 1957, Chris Marker est l’un des seuls journalistes à pénétrer sur le sol Nord-Coréen. Le pays est en reconstruction et récupère tout juste d’une guerre civile avec le sud pendant laquelle l’URSS et les Etats-Unis ont cru bon de se chamailler sur le territoire du Pays du Matin Calme. N’importe quel correspondant occidental aurait été tenté de couvrir l’état du pays avec un regard politique, faire le bilan des graves évènements survenus quatre ans auparavant ou informer sur la situation dans la région.
Mais Marker est un reporter à part. Lors de son voyage, il affectionne plutôt les histoires individuelles. Coréennes dépeint une société et son quotidien, sans réellement dissocier le Nord et le Sud, artisans d’une histoire et d’une culture communes. Marker flâne, discute et photographie ces gens dans leurs traditions, la plupart du temps hors des grandes villes, et infiltre en tentant de la comprendre une société jusque là plutôt cachée et méconnue. Le régime nord-coréen applique déjà l’autoritarisme mais ici, pas de junte militaire ou de défilé en uniformes.
Les images de ce monde – aujourd’hui encore très isolé – sont alors intemporelles tant le pays ne semble pas avoir technologiquement évolué depuis des décennies. Même si Marker est plus philosophe qu’enjôleur, il s’attarde sur les émotions de ces sujets en captant des portraits de vie au caractère attendrissant. Sans cliché, il tente de pénétrer l’âme coréenne et retranscrit en photo et texte – car l’artiste maitrise les deux médias – des témoignages poignants, comme celui de cette jeune fille, le visage couvert de larmes, dont les deux parents sont décédés pendant les affrontements.
Plus loin dans les campagnes, des femmes adoptent une attitude pensive, des fillettes se préparent à danser et des enfants, sous son œil, lui offrent un spectacle improvisé. Des scénettes empreintes de tendresse et d’humour, qui dans le sillage de la guerre, invitent à découvrir, non pas un peuple apathique mais désireux de vivre et prêt à retrouver la paix. Dans ce travail sensible, jamais Chris Marker n’emploiera le mot « nord-coréen » et s’efforcera, avec adresse, de considérer les coréens unis par des liens ethniques inaltérables.
Pourtant, l’œuvre sera interdite des deux côtés de la frontière : au nord, parce que l’auteur ne se plie pas au culte de Kim Il-sung, le grand leader du pays ; au sud, simplement parce qu’il n’y a pas d’intérêt à parler du rival communiste. En épilogue de son livre paru une première fois en 1959, quelques mois avant d’être révélé avec La Jetée, il écrit : « Au fond de ce voyage, il y a l’amitié humaine. Le reste est silence. »
Jonas Cuénin
Coréennes de Chris Marker, publié en 1959 et réédité en 2009, fait partie de la grande rétrospective qui lui est consacré cette année à Arles.
Du 4 juillet au 18 septembre 2011 au Palais de l’Archevêché
8 Boulevard Lices
13200 Arles
04 90 43 35 10