Un monde parallèle merveilleux, si proche de nous lorsqu’on sait l’observer : le nouveau livre de la photographe allemande Lia Darjes raconte avec tendresse la présence parfois insoupçonnée de nos voisins les animaux.
Ce livre renferme une série de natures mortes qui explorent la relation intime entre les animaux et les objets du quotidien. Ces mises en scène rendent hommage à l’art de la table et à nos amis à poils et à plumes, tout en s’inspirant de la finesse de la peinture réaliste allemande du XVIᵉ siècle, notamment des œuvres de Georg Flegel et de Frans Snyders.
Les compositions de Lia Darjes sont empreintes d’un humour délicat, bercé d’une innocence salutaire. Dans Plate V, une limace déambule dans la pénombre sur le rebord d’un verre de jus d’orange, entourée d’autres petites créatures, conférant à la scène une dimension absurde. En jouant sur l’étrangeté du moment et la familiarité des objets choisis, Lia Darjes invite le spectateur à redécouvrir la beauté cachée de ces créatures auxquelles nous prêtons peut-être pas assez attention.
Chaque composition est soigneusement agencée : les objets, les couleurs, les motifs… Tous contribuent à l’esthétique singulière offerte par Lia Darjes. Dans Plate XV, trois petits oiseaux sont attablés sur une nappe fleurie. Ce moment figé porte le souvenir d’un déjeuner champêtre, où les humains ont laissé place aux bêtes à plumes. La scène, baignée de tranquillité, fait écho aux tableaux classiques de la vie rurale, tout en restant profondément ancrée dans le présent grâce aux choix minutieux des mises en scène. Comme ici, où un ouvre-bouteille est posé de façon désinvolte sur un sac de congélation, au fil des clichés, l’on distingue des boîtes Tupperware en plastique, du papier d’emballage de boucherie et des assiettes en carton; faisant que ces tables pourraient être les nôtres.
Ici, pas d’animaux domestiques, mais des créatures sauvages qui savourent leur liberté, comme celle de s’inviter à notre table une fois le dîner terminé. Pour réaliser cette série, la photographe conviait ses amis à dîner et, dans une mise en scène soignée, laissait la table aux méandres de la nuit. Son appareil photo, monté sur trépied et équipé d’un déclencheur, se mettait en marche dès qu’un mouvement se faisait sentir : c’est ainsi que ces animaux furent surpris en flagrant délit.
Ce contraste entre le quotidien et le fantastique est au cœur du travail de Darjes, qui nous invite à repenser notre rapport à la nature. Elle nous pousse à voir dans les animaux plus que de simples sujets d’observation; mais comme des compagnons de vie intégrés dans notre univers quotidien. Les oiseaux, les rongeurs et les insectes deviennent les acteurs discrets mais indispensables d’un récit visuel où, par son absence, l’humain est sans cesse suggéré.
Noémie de Bellaigue
Plates I-XXXI de Lia Darjes est édité par Chose Commune et a été présenté à Berlin dans le cadre d’une exposition à la Galerie Robert Morat.