Rechercher un article

Chochana Rosso

Preview

Chochana Rosso est photographe à l’agence JERGON depuis 2022, située à Berlin. Diplômée de design graphique en 2014, à L’Institut Supérieur des Arts Appliqués, avec une spécialisation en édition, Chochana Rosso a vingt-neuf ans.

Son projet de fin d’étude, un livre photographique expérimental sur l’enfermement des femmes et de leurs corps dans les maisons closes parisiennes, avant leur fermeture officielle, en 1946, témoigne dès ses débuts de son obsession pour le corps, la nudité et l’exploration de la féminité.

Pour mes 14 ans, ma mère m’a offert mon premier appareil photo. Je me construisais un journal photographique à défaut d’en écrire un : famille, vacances, objets, expositions, animaux… et mon premier autoportrait. En 2020,  j’ai retrouvé cette première photographie de moi.

Nous sommes en vacances dans la maison de mon grand-oncle, sur l’île-de-Ré. À l’étage, sûrement dans une chambre, il y a deux grandes fenêtres avec une commode au milieu, des objets décoratifs posés dessus et un miroir accroché au mur. La photographie n’est pas prise totalement en face du miroir qui semble être penché. Mais il est centré et entouré des fenêtres aux rideaux presque symétriques. De moi, on ne voit presque rien dans le reflet du miroir. Le flash de mon appareil automatique cache mon visage entièrement et seulement mes épaules apparaissent.

Je n’ai plus fait de photographies pendant environ quatre ans, travaillant alors en tant que graphiste dans une boutique parisienne. Les seuls clichés que je prends sont rares et font effet de souvenirs. Bien que je ne construise plus rien avec la photographie, elle reste présente dans ma vie.

Notamment quand mon grand-père maternel décède en 2018. Quand je vais le voir pour la dernière fois à l’hôpital, j’ai un petit appareil photo dans mon sac. Mais je ne le sortirai pas. Je repense parfois à cette photo qui n’existe pas : sa main tâchée, trapue, aux doigts forts et musclés dans la mienne pâle et lisse.

Le choc de perdre cet homme qui avait été très présent dans ma vie et mon malaise au travail, me redirigent vers ma première passion la photographie et l’envie, même le besoin, de créer.

Depuis, elle poursuit une recherche sur la compréhension de la sexualité et l’appropriation du corps à travers une série d’autoportraits, des vidéos dansées et des peintures.

À côté de cette ligne forte, elle développe un projet dans lequel elle entre dans l’intimité du processus créatif d’artistes émergents dont elle fait le portrait. Par fascination pour les travaux d’Hervé Guibert et Jean Cocteau qui partageaient leur vie avec les artistes de leur temps et les immortalisaient dans des photographies, des dessins et/ou écrits, elle souhaitait recréer cet échange. C’est ainsi que Natacha Paschal et Camille Vignaud lui ouvrent les portes de leurs ateliers, et lui présentent leurs travaux ainsi que leurs histoires. Il en est de même avec le couple de photographe et cinéaste Félix Cornu et Justine Abitbol qui expriment comment ils travaillent ensemble et s’influencent dans leurs travaux.

L’espace de travail des artistes en dit beaucoup sur leur façon de créer, de voir le monde, leurs références. C’est leur intimité et, selon moi, cela représente l’intérieur de leur esprit. Tous les petits objets qui composent leurs ateliers me fascinent.Pouvoir avoir un échange d’artiste à artiste est quelque chose que je trouve essentiel dans une société où on se sent souvent en compétition les uns contre les autres. Et je trouve cela important de partager sa démarche artistique en dehors du cadre d’une exposition. Le travail de l’artiste est constant et fait partie de lui, il murit et évolue avec lui. C’est ce que je trouve fascinant.

 

/æfɹəˈdaɪti/(Aphrodite)

Dès mes débuts photographiques, j’ai eu une fascination pour les travaux sur les corps. Éduquée par une mère professeure de danse, mon approche du corps nu tout particulièrement est naturellement libre et pure. Je le considère comme un outil d’expression et une représentation extérieure de nos émotions. C’est un médium à part entière.

Révéler mon corps est pour moi une étape importante et une affirmation. Le nu me permet de matérialiser mes émotions et de transmettre ma vision artistique. Je me sers de mon corps afin de symboliser mes blessures pour mieux les comprendre, les accepter et m’approprier mon corps petit à petit. La photographie est mon chemin vers la guérison et son journal.

Comme un journal intime chaque photographie représente une pensée, une peine… une partie de moi. Je construis ce recueil visuel intime et autobiographique autour de mes déceptions amoureuses, mes relations sexuelles, l’absence de mes partenaires, mes espoirs et j’effectue une recherche sur la compréhension de ma sexualité et l’appropriation de mon corps à travers mes autoportraits.
La discrétion, voire l’absence, de représentation de mes partenaires est essentielle pour raconter ces relations à distance, vécues principalement de manière digitale. Le manque de quotidien avec ces amants éphémères créa une frustration visuelle, entre autres choses. Ne pas avoir la possibilité de prendre en photo l’autre dans l’intimité me manquait beaucoup. Cela créait des trous dans mon journal que je ne pouvais combler qu’avec les selfies qu’ils m’envoyaient.

Mes recherches et expérimentations diverses et variées (photographies, fanzines, vidéos, peintures) me mèneront à une réflexion plus générale sur la façon dont les femmes sont perçues dans la société, à travers le regard des hommes. Je me heurte alors à des dictats et des préjugés lorsque je partage mes photographies sur les réseaux sociaux. Tels qu’un corps nu féminin est presque automatiquement sexualisé, que la nudité est un appel aux regards des hommes ou bien encore parce que je fais de la photographie de nu, je suis considérée comme une femme « dévoreuse d’hommes ».

À travers ma fascination et mes études sur la mythologie grecque, j’ai trouvé une certaine dualité dans l’histoire d’Aphrodite. C’était une force de vie et son influence sur la sexualité était aussi positive (fertilité) que négative (luxure et désirs).
Cette dualité resta ancrée dans les attributs d’Aphrodite pendant longtemps sûrement due aux circonstances de sa naissance. En effet, les Grecques la racontent comme suit : dans la nuit noire, avant la naissance du monde, la déesse mère, Gaïa, fatiguée de copuler avec Ouranos, convainc son fils Kronos d’agir pour elle. Celui-ci coupa les parties génitales d’Ouranos et les jeta à la mer. De là, naquit Aphrodite près de l’île de Chypre. La déesse en gardera plusieurs attributs notamment sa proximité avec la mer et la nature.
Plus tard, avec l’évolution des civilisations et les guerres de conquêtes, la place de la femme dans la société sera marginalisée. De plus, la création dans la littérature et les arts d’une société dominée par les hommes entraînera une sexualisation de la déesse. Son intérêt sera désormais porté sur son corps, qui sera fantasmé et mis à disposition des hommes, et non plus sur sa puissance.
 Je vois dans l’histoire d’Aphrodite toutes les divergences auxquelles les femmes doivent faire face concernant leur corps et leur sexualité dans la société moderne. La liberté sexuelle féminine étant une source de jugements péjoratifs. Autant de contradictions et d’injonctions qui forment ma réflexion centrale et que j’applique à mes propres autoportraits.

Je me suis identifiée à la déesse et à ses manifestations : sa proximité avec la nature, sa dualité, sa liberté sexuelle et son corps. Ainsi que ses amours maudits et les déceptions qui motivent certains de ses actes. Je fais face aux commentaires qu’engendrent mes photographies et qui m’interrogent sur mes comportements sexuels et intimes auprès des hommes et remettent en question mes relations. Grâce à une introspection, je cherche à confronter mes manques et à cerner mes failles émotionnelles. Prendre appui sur Aphrodite m’aide à comprendre le monde qui m’entoure, à dompter mon hypersensibilité et mes obsessions ainsi qu’à apprendre à guérir de mes déceptions.

Je construis mon journal comme une artiste qui apprend qui elle est, et ce qu’être une femme veut dire.

 

S*x Diary (2021-2022)

« C’est quelque chose de très personnel dont je n’ai jamais sérieusement parlé : mes obsessions, ma fascination pour le sexe et sa représentation. Pas un mot en thérapie, ni à mon entourage.

Cette obsession que j’ai pour les corps qui s’entremêlent. Le mélange, la fusion de tout, le plaisir.Et garder une trace pour se souvenir des moments intimes. Plaisir de la chair.

La texture de la peau, l’odeur, la chaleur de l’haleine, des doigts dans des cheveux, les sons des corps qui se touchent, claquent et se caressent, la douceur des lèvres, le goût chaud des salives qui se mélangent, etc…Les flashs sont faits de détails dont je me souviens : un tatouage, le son d’un souffle dans mon oreille, un mot murmuré, un contact visuel auquel je ne suis pas habituée…

Cette série concerne les flashs de mémoire que je recrée à partir de leurs souvenirs à travers les miens et l’objectif de l’appareil photo. »

Ce projet en cours de réalisation parle d’intimité. Plus précisément, la création de mon intimité à travers ma mémoire. J’imagine ce que les hommes ont vu de moi pendant l’acte sexuel et je créé ma propre version de leurs souvenirs. Je retranscris leurs regards par le biais de l’appareil photo, qui devient l’homme, et je souhaite créer un nouveau regard masculin sur mon corps en passant par mon propre prisme.

Sous la forme d’un journal intime, je mélange des photographies de mon corps, les traces de ma/leur mémoire, avec des photographies de fleurs et d’objets personnels qui me représentent et évoquent l’érotisme.
Ce projet est une continuité de la série /æfɹəˈdaɪti/ (Aphrodite) et se concentre sur la découverte et l’expérimentation autour de ma sexualité.

Merci de vous connecter ou de créer un compte pour lire la suite et accéder aux autres photos.

Installer notre WebApp sur iPhone
Installer notre WebApp sur Android