A la manière de Cindy Sherman, la photographe suisse Chantal Michel se met elle-même en scène. Son univers est toutefois plus onirique que celui de l’artiste américaine, et résolument ancré dans la tradition picturale helvétique. Avec une grande maîtrise technique, Chantal Michel réinterprète des toiles fameuses de Ferdinand Hodler et Albert Anker.
Son inspiration puise également aux sources vives du conte de fée ou fantastique, et surtout de sa propre imagination baroque. Patiente plasticienne d’elle-même, elle apparaît souvent à plusieurs reprises dans ses grandes photographies, jouant plusieurs rôles, aussi bien féminins que masculins, à divers âges de la vie.
Née en 1968 à Berne, formée à l’Ecole d’arts visuels de sa ville natale et à l’Académie d’art de Karlsruhe en Allemagne, Chantal Michel habite pour quelque temps encore dans un château, le Schloss Kiesen. Elle y développe depuis trois ans une expérience d’art total, invitant le public à visiter la demeure jalonnée de ses propres œuvres, et à partager ses repas.
Mais depuis la fin janvier, Chantal Michel a investi un autre château suisse, celui-là moyenâgeux, monumental et fameux : le Château de Gruyères, au pied duquel est fabriqué un célèbre fromage. Une trentaine de photographies et une poignée de vidéos de la photographe bernoise ont été disposées dans l’entier du château, des caves aux combles.
Si bien que la visite se transforme en une course aux trésors, d’autant que les images se fondent par mimétisme dans les vieilles pierres et les salles historiques. Mi-Pompadour, mi-créature sortie d’un conte des frères Grimm, Chantal Michel brouille avec malice les frontières entre les légendes et le réel, entre hier et aujourd’hui, entre la tradition picturale et les technologies numériques les plus actuelles.
Le dialogue des photographies et du vieux château est renforcé par une adaptation thématique aux différentes parties de la demeure. Des natures mortes austères inspirées d’Albert Anker ont été disposées dans la cuisine. Des chasseurs en culotte de peau posent parmi les trophées de la salle de chasse. Des aristocrates abondamment fardées et “emperruquées” ornent les salons privés. Partout, Chantal Michel et son art ironique de la citation. Partout, une photographe qui avance masquée pour mieux se regarder, elle et son extravagant ego d’artiste.
Luc Debraine
Jusqu’au 15 mai
Château de Gruyères
CH 1663 Gruyères
Suisse