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Centre Pompidou : Lynne Cohen & Marina Gadonneix : Laboratoires / Observatoires

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Le Centre Pompidou présente un dialogue entre Lynne Cohen et Marina Gadonneix, deux photographes qui partagent un intérêt pour les espaces intérieurs de nos sociétés modernes, des lieux d’études scientifiques aux lieux de divertissement et de consommation. Bien que les espaces documentés par les deux artistes soient marqués par l’absence de figure humaine, leurs traces restent visibles, invitant ainsi à mieux comprendre et protéger l’environnement social et naturel. Nous publions ici des extraits du catalogue d’exposition, coédité avec les éditions Atelier EXB.

 

Florian Ebner, Message from the Interior » L’oeuvre de Lynne Cohen à travers ses différentes lectures

« Nombreux sont les récits dans l’histoire de l’art sur ces moments d’épiphanie quand un ou une artiste tombe sur l’œuvre d’un ou d’une collègue, moments de coup de foudre qui ont changé par la suite ses propres pensée et production artistique. Prenons l’exemple d’une jeune photographe française qui découvre, autour de l’an 2000, à la bibliothèque de l’École nationale de la photographie d’Arles, le livre Occupied Territory de Lynne Cohen. À partir de ce moment, le travail de l’artiste canadienne tiendra une place majeure dans le musée imaginaire de Marina Gadonneix, cette jeune photographe française, qui des années plus tard, fin 2013, se décide enfin à entrer en contact avec sa collègue aînée de trente-trois ans. C’est la mort de Lynne Cohen en avril 2014 qui va mettre fin à une correspondance naissante. L’exposition double Lynne Cohen / Marina Gadonneix : Laboratoires / Observatoires poursuit le dialogue à travers leurs œuvres.

Une contextualisation double

Ce catalogue dédié à Lynne Cohen, l’un des deux ouvrages jumeaux publiés à cette occasion, part de la figure d’échange pour proposer une double contextualisation de l’œuvre de l’artiste canadienne, née en 1944 à Racine ( Wisconsin) : il s’agit d’abord de connaître mieux les premières vingt-cinq années de création de l’artiste, qui se tourne vers la photographie vers 1970, développe
une approche immédiatement reconnaissable et délimite avec la représentation d’intérieurs son terrain, avec une rigueur conceptuelle et formelle, un humour subtil, une fraîcheur et coolness qui servira de modèle et d’inspiration pour d’autres générations d’artistes. Comprendre pourquoi Cohen est devenue ce qu’on appelle en anglais une artist’s artist – une artiste appréciée par les artistes – constituera la seconde perspective de cette publication. Il s’agit de mieux mesurer sa riche réception et la consécration de son œuvre en Europe, notamment en France. Dans ce sens,
l’exposition n’est pas une rétrospective, mais plus une étude spécifique et détaillée qui s’interroge sur l’effet latent et la contemporanéité d’une œuvre révélée en dialogue avec la génération
qui lui succède.

Ce premier contexte sera reconstitué par un nombre de textes et un atlas iconographique. Les essais de Matthias Pfaller et de Jean-Pierre Criqui éclairent ce que l’œuvre de Lynne Cohen doit à la photographie du social landscape américain ainsi qu’au Minimal Art, au Pop Art et à l’art conceptuel des années 1960 et 1970. Le texte « Lynne Cohen: A View from Sideways on » d’Andrew Lugg,
son mari et complice intellectuel durant cinquante ans, ainsi qu’une biographie extensive focalisent sur le parcours de Lynne Cohen. La partie illustrée au cœur de ce livre ose présenter
le travail de Cohen d’une autre manière dont l’artiste le montrait habituellement. Elle propose une sorte d’atlas regroupant les différentes catégories de lieux et sites – l’artiste parle elle-même de thèmes1 – sur lesquelles elle travaillait dans des phases décalées au cours des vingt-cinq premières années de sa création photographique. Loin de vouloir être un catalogue raisonné ou de transformer ces thèmes en typologies rigides, cet atlas permet de montrer l’évolution d’une œuvre qui partait, au début des années 1970, d’un intérêt pour les intérieurs privés et semi-publics (les
living rooms, men’s clubs et banquet halls) portant tous clairement l’empreinte des différents milieux sociaux, pour s’orienter, au cours des années 1980, vers des lieux de plus en plus
fonctionnels et aseptisés (laboratories, observation rooms, shooting ranges) de nos sociétés de gouvernance et de contrôle. Ces constellations rendent visible l’esprit systématique de l’artiste
qui recherchait les mêmes types de lieu dans l’annuaire, comme les salles de banquet des différentes communautés ethniques, signe de son intérêt social (voir p. 46, 47). Elles laissent également
percevoir des aspects en commun qui transcendent les catégories, des fantasmes qui hantent l’imaginaire de l’artiste, ainsi que son attention particulière pour certains patterns, certains motifs qui nichent dans le quotidien de ces installations ready-made et qui lui rappellent des styles d’artistes ou formes d’art. C’est ainsi qu’on découvre, par exemple, dans un bureau (voir p. 36), un showroom (voir p. 37) et un laboratoire (voir p. 75), le même goût d’une époque pour la décoration murale de motifs inspirés de la chronophotographie. L’immense importance de l’œuvre de Walker Evans devient palpable dans les toutes premières planches de l’atlas et nous amène à la question des différentes lectures et fausses lectures, des appropriations et hybridations qui sont en jeu, à la fois dans la constitution de l’oeuvre de Lynne Cohen et dans les interprétations qu’elle inspire. C’est ainsi que les généalogies et les arborescences de l’histoire de la photographie se construisent ».

 

Entretien avec Marina Gadonneix par Florian Ebner et Matthias Pfaller : Recording in Progress

Florian Ebner : L’exposition Laboratoires / Observatoires au Centre Pompidou présente l’œuvre de Lynne Cohen et la vôtre en dialogue. Outre des thèmes et approches similaires, on perçoit également un lien plus personnel. Dans un petit texte que vous avez dédié au travail de Lynne Cohen, vous racontez que son livre Occupied Territory vous accompagne depuis longtemps.
Quelles sont pour vous les dynamiques dans le travail de la photographe canadienne qui ont aussi affecté votre travail ?

Marina Gadonneix : Pendant mes études à l’École nationale supérieure de la photographie d’Arles, mes enseignants m’avaient introduite à la photographie allemande, notamment à l’École de Düsseldorf. Quand j’ai découvert Occupied Territory, au début des années 2000, j’ai trouvé dans le travail de Lynne Cohen une forme de liberté. Une énergie, une curiosité, qui l’avaient conduite à se rendre dans des lieux très divers. Et ce, tout en parlant d’un monde qui change, qui se construit, qui évolue et que les hommes s’acharnent à vouloir comprendre sans parvenir à le regarder frontalement – ou sans prendre le temps de le faire. En l’observant, aussi, vidé de toute présence humaine afin de mettre en lumière ses paradoxes. Occupied Territory sortait de ce que j’avais vu parce qu’il n’était pas question de séries, de sujets, de typologies, et que Lynne Cohen proposait une approche humoristique, à la fois sinistre, sans anecdotes, drôle et inquiétante, qui demeurait
empreinte d’empathie. C’est justement cette énergie, quand je fais face à un doute comme un écrivain face à la page blanche, qui me porte. Peut-être parce que j’ai cette même curiosité à travers mes recherches.

Matthias Pfaller : Lynne Cohen était inspirée par Walker Evans, ce qui l’a motivée à sortir de son atelier d’artiste pour aller voir le monde. Votre travail se caractérise également par la recherche de différents lieux, par la collaboration avec des chercheurs et l’investigation de divers environnements. Marina Gadonneix : Je rejoins Lynne Cohen dans l’intérêt qu’elle porte à la société et ce à quoi
elle ressemble, construite et bricolée par les humains, mais aussi dans l’importance qu’elle accorde à la mise en scène dans cette société. En fin de compte, je partage un même intérêt pour les lieux que l’on ne voit pas, que l’on ne remarque pas. J’ai commencé par m’interroger sur cette question de la mise en scène, peut-être en m’inspirant d’elle, à travers cette question de l’artifice et du factice. Mais comme elle, mon but n’est pas de dénoncer. Dans les premières photographies, j’étais juste fascinée par ces bureaux et ces aquariums décorés en carton-pâte. Dans « Remote Control », c’est déjà différent. Il y est question de mises en scène, télévisuelles notamment, de ce que nous sommes tous amenés à voir dans notre salon. Mais plutôt que la production d’un contenu télévisuel particulier, c’est la mire – image d’une charte de couleurs permettant le calibrage des écrans – qui a attiré mon attention. Je me suis donc écartée de cette question du factice et
de l’artifice pour envisager ces mires comme des écrans qui se présentent en quelque sorte comme des images dans l’image, des sortes de paysages dans notre salon. Quant à la série « Landscapes », il n’y est question ni d’artifice, ni de mise en scène. Ce qui m’intéressait dans ce projet, c’est la question de la disparition du décor. Il n’y a plus qu’une seule couleur monochrome, verte ou bleue, qui existe physiquement dans des lieux qui nous sont cachés ou qu’il faut chercher pour y avoir accès. Je rejoins également Lynne Cohen sur cette question du secret. C’est pour cela que dans mon texte « Deux images d’elle », je m’interroge sur sa fascination. S’agit-il de la même fascination que celle qui me pousse à aller fouiller, regarder ce qu’on construit, comprendre où va le monde (sociologiquement et politiquement) mais sans avoir non plus l’ambition d’être une documentariste, bien que le réel constitue toujours un point de départ ? La trajectoire de mon travail témoigne d’une succession de réflexions sur la question de la mise en scène avec un héritage « cohénien » très clair d’abord, pour ensuite s’écarter vers une image plus virtuelle avec « Remote Control »,
pour en arriver ensuite à la disparition du décor avec « Landscapes » et enfin revenir à la question du laboratoire scientifique via celle de la représentation de la catastrophe. En somme, il est toujours question de mise en scène sans présence humaine afin de mieux montrer les lieux, la manière dont ils sont construits et pensés, et ce que cela révèle de notre époque et des générations actuelles. Cependant, ayant plutôt été formée à la photographie et au cinéma, je ne me suis pas interrogée immédiatement sur la question de la peinture et de la sculpture. C’est vraiment avec la série « Après l’image » que, tout d’un coup, je m’en suis rapprochée, en particulier de l’art minimal et conceptuel. Ainsi, je me suis mise à rechercher et approfondir des approches que j’avais peu rencontrées durant mes études, tandis que Lynne Cohen vient plutôt d’une approche inverse, dans le sens où elle est venue à la photographie par l’art minimal et conceptuel. C’est donc avec « Après l’image » que je me suis intéressée à des oeuvres de James Turrell et Imi Knoebel, ou encore au travail d’autres artistes de ma génération, tel que celui de Béatrice Balcou, que je connaissais bien sûr, mais que je n’avais pas approfondi plus précisément ».

 

Merci au Musée national d’art moderne et à son Cabinet de la Photographie, aux commissaires de l’exposition Florian Ebner et Matthias Pfaller et à l’Atelier EXB pour avoir rendu possible cette publication.

 

Lynne Cohen / Marina Gadonneix : Observatoire / Laboratoires
Du 12 avril au 28 août
Commissariat : Florian Ebner, conservateur et chef  de service, cabinet de la photographie, Mnam-Cci
et Matthias Pfaller, commissaire invité, Fondation Alfried Krupp von Bohlen und Halbach

Musée national d’art moderne-Centre de création industrielle,
Galerie du Musée et Galerie d’art graphique, Centre Pompidou
75191 Paris cedex 04
+ 33 (0)1 44 78 12 33

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