L’Œil de la Photographie initie une nouvelle rubrique avec le soutien de MPB, les « Cartes blanches ». Chaque mois, un photographe français donnera à voir une série inédite de ses mains comme de son regard, s’essayant par là-même à du matériel prêté par la plateforme internationale d’achat, revente et échange de matériel photographique.
La première Carte Blanche s’ouvre avec Laurent Poleo-Garnier et sa série « Agent Double », des autoportraits de l’artiste où les jeux de transformation, avec le concours des coiffes de la Maison Michel, viennent recomposer son propre visage en un puzzle-miroir.
Agent Double
« Depuis de nombreuses années, la coiffe représente pour moi un formidable masque qui transforme le visage, l’habille tout en le télescopant vers d’autres horizons toujours plus surréalistes. Chez moi j’ai alors recréé le décor d’un photomaton avec l’aide de l’appareil photos Fujifilm GFX 50S pour rejouer différents personnages de l’histoire de l’art à travers un télescopage de références proches ou lointaines, précises et abstraites.
Ces scénarios sont l’occasion pour moi de naviguer à travers les époques, styles et personnalités et ainsi recomposer le puzzle d’un mystérieux face-à-face. Dans cette série d’autoportraits, la coiffe agit comme une nouvelle peau, un maquillage texturé fait de perles, broderies, prothèses, brocards, fleurs de dentelle, dessins et autres matières à la personnalité malicieuse. La métamorphose agit comme le révélateur des multiples facettes qui composent mon visage, transformant le banal en parure et l’anonyme en icône.
Dans cette recherche il y a la quête d’un nouveau portrait qui ne cesse de se réinventer à mesure qu’il se dévoile. Depuis toujours je suis fasciné par la grande époque des mannequins, incarnée par Veruschka, Penelope Tree, Twiggy ou Donyale Luna.
Ces femmes qui étaient les muses de leurs photographes sont aussi les premières transformistes de l’histoire de la mode. Elles étaient celles qui impulsaient l’énergie d’une séance, partenaires amusées et amusantes désireuses de casser les codes de la représentation. Dans mon rapport au modèle, je poursuis l’idée de la relation, de la connexion, voire de la fusion avec l’autre le temps d’une séance. J’interroge la réversibilité des rôles et la capacité de chacun à incarner de nouvelles « peaux ».
Ainsi, à travers l’autoportrait je décide de devenir moi-même un modèle, une créature androgyne tantôt barbue, tantôt fardée. Cette explosion identitaire me permet de convoquer tout une histoire des fêtes passées dont les bals costumés incarnaient dans les années 1960 et 1970 une excentricité hors du temps. D’où proviennent ces images ? Sont-elles des archives issues d’un photomaton ? Les membres fictifs d’un album familial ?
Dans ce projet j’agis tel un faussaire, un dandy distingué qui brouille les pistes qui auraient pu mener à lui. Avec la complicité de la Maison Michel, célèbre chapelier parisien, j’ai eu la chance d’avoir accès à certaines archives des collections. Il m’a alors semblé intéressant de repenser la coiffe comme un accessoire indépendant, un personnage ambigu et complexe plutôt qu’un couvre-chef.
Avec la complicité de l’artiste marionnettiste Elzbieta Jeznach j’ai conçu un objet video filmé avec la caméra Sony HXR-NX200, prêtée par MPB, qui est la continuité du travail d’autoportraits. En me transformant avec elle dans différents personnages je raconte une histoire surréaliste du chapeau, de Liza Minelli dans un New York scintillant en passant par Pina Bausch, le Satyricon de Fellini, la géométrie d’Oskar Schlemmer ou les debris d’une fête au Palace. Dans ce film le chapeau se transforme en toile dont les ambiances sonores du film sont une histoire en devenir.
« Agent Double » s’inscrit dans la continuité des photographes transformistes tels Chris Smith ou Michael Bailey-Gates qui considèrent leur propre représentation comme territoire propice à l’experimentation et à l’éternel étonnement face à une vie aussi fragile qu’une apparition.
Si « je » est un autre le jeu est aussi le moyen d’un « nôtre ».
Laurent Poleo-Garnier
Laurent Poleo-Garnier est né à Paris en 1995 et vit et travaille entre sa ville natale et Berlin.
Diplômé de l’École des Beaux-Arts de Paris en 2019, son travail est aussi bien photographique que performatif. Il nécessite la mise à l’épreuve de modèle comme de l’artiste lui-même par la pratique de la transformation, du déguisement, de la recomposition jouant des expressions, maquillages, vêtements comme autant d’attributs et parures. Fondées sur des recherches historiques, rappelant une tradition du portrait photographique et des clichés désormais iconiques de l’histoire de la mode, ses œuvres cherche toutefois à briser le caractère formaliste du studio et soulignent une réapropriation de plusieurs identités et imaginaires dans une subjectivité consciente.
S’il est volontiers son propre modèle, Laurent Poleo-Garnier a également photographié au gré des fêtes et des nuits une « famille sentimentale » entre Paris et Berlin, une archive d’un monde libéré, amusé comme joueur, à l’image de sa collaboration avec le danseur et chorégraphe François Chagnaud. En 2021, il est lauréat du Prix PICTO de la photographie de mode et la dotation le19M de la Photographie des Métiers d’Art pour une collaboration avec la Maison Lesage. Ses photographies sont présentes dans les collections publiques du Palais Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris.
L’artiste comme L’Œil de la Photographie remercie chaleureusement la plateforme de revente de matériel photographique MPB pour son soutien. La rubrique « Carte Blanche » ne pourrait se faire sans leur concours.
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