Jusqu’au bout, la météo nous aura fait des frayeurs. La queue de mousson, qui s’attarde bien au-delà de la Fête des Eaux, nous gratifie d’orages spectaculaires et d’averses qui laissent l’air chargé de moiteur. Plus grave, une bourrasque soudaine s’est même permis de renverser, sur l’esplanade du Wat Bothum, les vingt mètres de cimaises accueillant le travail de Mak Remissa sur le feu. A refaire, mais la flamme est toujours intacte.
C’est en extérieur, surtout sur les bords du fleuve, sur la quai Sisovath qui voit passer des milliers de personnes dès que le soleil décline, que les expositions attirent les groupes. Celle de Micheline Dullin dont les carrés en noir et blanc ramènent la mémoire de la construction du Stade Olympique, les vues aériennes, le pont Japonais presque terminé provoque mille discussions sur la ville à l’époque, le sens des travaux dont la majorité furent dirigés par Vann Molyvann, le grand architecte émule de Le Corbusier et, tout naturellement, sur les transformations actuelles et sauvages de la ville, à l’image du grand building massif qui s’élève sur l’autre rive, face à l’exposition, et qui deviendra un hôtel de luxe. Le Palais Royal a émis des remarques désagréables sur cette construction qui défigure la vue, puis, on ne sait comment, tout s’est arrangé. En attendant, lorsque la nuit est tombée, une dame, munie d’une lampe électrique, détaille chaque photo : elle se souvient…
Un peu plus loin, un groupe de quatre femmes discute autour des grandes images de poissons par Chea Nging – également connue sous le nom de DJ Moon – et rient en reconnaissant les différentes espèces ou en évoquant leur façon de les cuisiner. Parce que la jeune femme a su sublimer, en les éclairant sur les deux faces, ces poissons séchés que l’on voit partout dans la rue et qui accompagnent l’assiette de riz des plus démunis, parce qu’ils apparaissent comme des objets lumineux et précieux, raffinés, on y prend garde à nouveau, alors qu’on ne les voyait plus.
Si cette présence des images dans l’espace public est essentielle, elle s’articule avec des expositions en intérieur, assemblage venu d’Asie et d’Europe de tout jeunes et de noms déjà confirmés qui échangent des points de vue. Alors qu’aucune thématique ne préside au choix, une ligne de force se dessine autour du questionnement de l’architecture et de l’urbanisme alors que destructions et chantiers bruissent dans Phnom Penh de façon anarchique.
Thaïlande, Vietnam – avec l’extraordinaire ensemble de Maika Elan sur les homosexuels dans son pays qui nous donnera le prétexte d’afters au Blue Chili, bar gay où se produisent des travestis – Chine, Taiwan, Bengladesh forment, avec évidemment un beau bataillon cambodgien, essentiellement de jeunes issus du Studio Images, la petite structure qui, tout au long de l’année, leur apporte une formation et les accompagne dans leurs projets, représentent cette année l’Asie. Une Asie faite de diversités, très contemporaine, qui s’interroge sur son identité, sa relation à son passé, qui explore ses intérieurs, ses villes, qui questionne sa relation à l’environnement. Toutes problématiques qui ont un sens au Cambodge, sur fond de polémiques lorsque la déforestation ravage la province du Ratanakiri, met en danger les minorités ethniques dont on détruit les lieux et arbres sacrés, que l’on met difficulté parce que les animaux, qu’ils continuent à chasser à l’arbalète et sont leur principale nourriture carnée, fuient devant les coupeurs de bois, parce qu’ils n’ont plus accès à la forêt où ils récoltent les plantes médicinales et que médecins ou hôpitaux sont éloignés.
Mais la tonalité poétique et la fantaisie ne sont pas absentes, à commencer par les maisons flottantes de Laurent Chéhère sur le grand mur de l’Ambassade de France, les « Chambres d’Or » de Bernard Faucon, entre autres.
Dans les locaux de l’Institut Français, dont le chantier n’est pas terminé mais qui va être un endroit fort accueillant, c’est le cœur du festival qui s’esquisse. Débats, lectures de portfolios, rencontres et, dans la salle de projection entièrement refaite projections de films autour des photographes, de Gabriele Basilico à Anders Petersen. C’est là également, que, dans la nuit du 4 décembre, le festival se terminera par une grande fête avec musique et projections.
Projections et musique, avec l’orchestre de Phare Ponleu Selpak et son chef Van Thanh, en extérieur, seront au rendez-vous à l’Université Royale de Phnom Penh, après la visite des cinq expositions sous le grand Dôme, qui nous mènent de Dhaka en Corée du Nord, des hauts plateaux du Laos aux chutes d’eau qui, sur tout le territoire cambodgien, craignent les barrages destinés à produire de l’énergie hydroélectrique. Et la médiation amènera, espérons-le, une bonne partie des 20 000 étudiants qui sont sur ce campus à réfléchir à la fois sur l’image, qu’ils pratiquent de façon ludique en permanence avec leurs portables, et sur ce qu’elle représente.
En six ans, Photo Phnom Penh a rencontré un public, a entraîné des vocations et, à voir la façon dont circulent les informations sur Facebook qui charrie d’amusantes séances devant les expositions installées en plein air, il risque de ne pas y avoir assez des quarante tuk-tuks réservés, samedi, pour la traditionnelle tournée de vernissage des expositions. D’autant que l’on nous promet que la météo sera stabilisée, que nous aurons retrouvé cette douceur d’après les mois de pluie, avant que la chaleur ne revienne vraiment. Le temps idéal du festival.
Une semaine de retrouvailles et de plaisir, juste avant que ne reviennent, pires que jamais, les angoisses pour l’avenir : au moment où il s’ouvre, le festival Photo Phnom Penh n’a en vue aucun €uro de subvention d’argent public pour l’édition 2014.
Christian Caujolle
FESTIVAL
Photo Phnom Penh 2013
Du 30 novembre au 31 décembre 2013
http://www.institutfrancais-cambodge.com