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C/O Berlin : Mary Ellen Mark : Encounters

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C/O Berlin rend hommage à la photographe américaine avec cette première rétrospective mondiale depuis sa mort en 2015. De ses premiers clichés à ses grands reportages aux États-Unis et en Inde, l’exposition retrace un demi-siècle de photographie sociale.

Des images qui restent. Voici ce qui intéressait Mary Ellen Mark, produire des images capables de traverser le temps avec un message intact, tout simplement parce que les vraies émotions ne vieillissent pas. Dès les années 60, ses premiers sujets de prédictions se dessinent : la rue, les enfants, les femmes, les travestis aussi, les marginalisés surtout. À la fin des années 70, elle photographie les manifestations féministes ou encore celles contre la guerre au Vietnam dont découlent des vues intrinsèquement engagées, un engagement qui marquera son travail tout au long de sa vie. En noir et blanc évidemment, comment ce pourrait être autrement ? Il se passe tellement de choses dans ces images figées qu’il faut prendre le temps de bien les regarder. Pourtant, il n’y a jamais de bruit superflu qui viendrait détourner le cœur du sujet. D’ailleurs, tout est dans le cadrage : Mary Ellen Mark ne recadre jamais ses images ou ne les retravaille, “à quoi bon ?” dira t-elle, et cette phrase qui a une saveur particulière aujourd’hui où le médium photographique, la réalité et ses détournement posent question : “Il n’y a rien de plus extraordinaire que la réalité”.

Mary Ellen Mark photographie les invisibles de la société : les mères ados, les handicapés, les drogués, les malades, les enfants délaissés mais personne n’apparaît jamais misérable, certainement parce que personne ne l’est à ses yeux. À la fin des années 60, elle réalise un reportage sur un hôpital londonien expérimentant un tout nouveau programme sur des patients addictes à l’héroïne. Viendra ensuite Ward 81 quelques années plus tard sur un hôpital psychiatrique pour femmes : le premier reportage qu’elle réalise sans être commissionnée, son “premier bébé” dira t-elle. Elle vivra 36 jours auprès de ces patientes et chacune gardera une place dans sa mémoire. Dans ces photographies quelquefois de profonde détresse, Mark parvient à capturer des moments de douceur, comme cette patiente le corps serré à un jeune homme. Là encore, les images frontales – telles que les blessures à vif qu’une femme s’est affligée – prennent le sujet à bras le corps et tentent de transmettre une certaine condition de vie dans ces lieux clos. C’est également ce qu’elle fera plus tard avec ses images des soins pédiatriques où elle rend visible l’enfance de celles et ceux dont elle pense qu’elle a été amochée, comme pour la réparer ne serait-ce qu’un peu.

La couleur est rare chez Mark. On la retrouve presque exclusivement dans ses images réalisées en Inde. Un petit espace est consacré à son reportage sur les prostituées de la Falkland Road à Bombay à la fin des années 70. Si tout de suite Mark repère son sujet, elle met beaucoup plus de temps à se faire accepter par ces femmes. Qui pouvait bien donc s’intéresser à leur condition ? Au bout de quelques années, Mark parvient à intégrer ce milieu fermé de très près et présente des scènes intimes où la banalité s’adosse à la brutalité. Comme souvent, et là aussi, c’est une force de Mary Ellen Mark, elle tisse – tant bien que mal – un lien avec ces femmes. Mark aimait avec sincérité ses sujets et dédiait tout son temps à leurs existences qui, pensait-elle, valaient le coup d’être racontées. Son projet le plus long, c’est Tiny, consacré à cette jeune fille croisée au début des années 80 lors de son reportage sur les enfants de la rue à Seattle. Cette rencontre de Mark avec Erin Blackwell surnommée Tiny, marque le début d’une longue histoire : plus de trente années passées à photographier Tiny, ses grossesses, ses accouchements, sa vie successivement avec ses dix enfants. Naissent des images iconiques comme Tiny dans une robe noire, gants et voile devant les yeux pour Halloween, le regard droit vers l’objectif – toujours : Tiny défie la vie.

Mary Ellen Mark se baladait toujours avec plusieurs appareils photos autour du cou et aimait expérimenter. Pour photographier l’un des sujets qui la passionne, les jumeaux, Mark lance finalement son dévolu sur un Polaroid 20×24 qu’elle découvre en 1995, exigeant techniquement mais la meilleure façon dit-elle, de “montrer à quel point ils se ressemblent tout en soulignant les subtils détails qui font qu’ils sont si différents”. Des double-portraits intrigants, avec des poses mises en scène, des vêtements identiques et un rendu pourtant authentique. Une technique qu’elle utilise aussi pour sa célèbre série Prom où elle immortalise les jeunes avant leur bal de promo dans les années 2000, également dans des double-portraits. Ces thèmes plus légers semblent être une façon pour Mark de faire le tour des strates sociales aux États-Unis et de leurs enjeux.

Les gens du cirque ou Mère Teresa en Inde : si de nombreux portraits de Mary Ellen Mark sont, comme elle les avait imaginés, intemporels, d’autres, moins célèbres, sont tout aussi puissants. Il y a ces images de la pauvreté en milieu rural aux États-Unis dans les années 90. On y observe toute une tranche de la société oubliée, des familles de huit enfants, trois générations vivant dans une même pièce et une jeunesse à laquelle on a ôté le droit de rêver : Mary Ellen Mark aura consacré sa vie à regarder la réalité droit dans les yeux.

Noémie de Bellaigue

 

Mary Ellen Mark à C/O Berlin jusqu’au 18 janvier 2023.

C/O Berlin
Hardenbergstraße 22–24
10623 Berlin
https://www.co-berlin.org/

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