Chronique Mensuelle de Thierry Maindrault
En cette période vacancière estivale, il me semble à propos d’apprivoiser la nouvelle ambiance environnementale qui enfume notre lubie : la Photographie.
Comment évoluent les différents types de la technologie et les divers systèmes de la communication pour atteindre, pour séduire et pour satisfaire les inconditionnels de photographies ?
Techniquement, il n’y a pas grand-chose à dire malgré le flot ininterrompu d’innovations, toutes plus indispensables les unes que les autres, qu’il nous est interdit d’ignorer. Le boulet au pied du photographe, c’est bien le torrent de nouveautés prétendues incontournables pour travailler correctement. Pourtant, les résultats d’une démarche photographique sont toujours les mêmes avec juste des améliorations sensibles et permanentes de la qualité des rendus grâce aux évolutions technologiques. Mais, rien de plus, nous lisons encore l’œuvre sur un support sur lequel l’image a été transférée. Nous pouvons également toujours examiner le résultat par transparence ou le projeter de façon éphémère sur un support souvent de grande dimension. Enfin, les fondements restent strictement identiques à ceux des origines. Quel que soit le labyrinthe choisi au départ (collodion, photoshop, ferricyanure, gélatine, capture one, et des centaines d’autres), l’entrée est gravée par des rayons lumineux et la sortie représente le fac-similé reconstitué d’une constatation parfaitement éphémère. Que l’action se fige dans un cyclotron ou dans un appareil dit « boite à savon », le processus demeure toujours le même.
Les propositions de lecture et de découverte des résultats obtenus ont pris d’autres chemins, trop souvent de traverses. Cette évolution, commerciale et pour beaucoup financière, entraîne, me semble-t-il notre axe d’expression essentiel, dans une impasse. Nous changeons irrévocablement d’atmosphère, notre petite image (pleine de promesse) n’a plus pour objectif de s’offrir au plus grand nombre. C’est maintenant, le plus grand nombre qui se doit de consommer derrière nos œuvres. Les photographies des activités économiques (dites industrielles), des jalons familiaux (naissances, mariages, communions, etc.), des magnifiques paysages localisés (cartes postales, objets souvenirs, etc.), des portraits (pour les amoureux éloignés et les dessus de cheminées) et même les simples photographies d’identité étaient toutes couchées sur un support (fréquement en papier où parfois elles étaient figées dans des diapositives). Tout cela a quasiment disparu, balayé en moins d’une décennie, remplacé par un vent numérique d’apparences, toutes plus éphémères et coûteuses les unes que les autres. La pochette cartonnée ivoire et sa feuille de cristal s’appelle désormais Facebook. Le carrousel de diapos ou la table lumineuse se nomment maintenant Flickr. L’album de mariage est remplacé par un montage en « Portable Document Format » signé Blurb ou CeWe. C’est l’évolution, c’est le progrès, c’est l’avenir ; pourquoi pas ? Sauf, que dans ce paragraphe, pas une seule fois le mot photographe n’est apparu ! Cherchez l’erreur ? Celui qui apporte son intelligence et son travail à la réalisation d’une image – une vraie – est dorénavant totalement évincé. Je suis un peu dur, parfois son nom d’auteur apparaît encore lorsqu’il est suffisamment connu (même s’il n’a pas fait les prises de vues lui-même) ; cela permet… une petite rallonge sur la facture !!!
Je ne tiens pas à être trop long en ces temps dits de canicule. Toutefois, je ne peux vous priver d’une évolution qui m’insupporte totalement. Je veux évoquer, ce que vous avez tous constaté, sans y prêter une grande attention, l’évolution des expositions et des livres que ce soit dans des festivals, des salons ou des foires.
Mais oui, souvenez-vous ? A la fin du siècle dernier, nous allions (pas très nombreux, il est vrai) voir et nous confronter à des œuvres photographiques. Parfois, uniquement sur le style et au coup œil, on retrouvait l’auteur qui était mentionné sous le titre d’une affiche ou sur la couverture d’un livre. Depuis le début du nouveau millénaire, et des égos médiatisés et surdimensionnés, c’est l’auteur qui présentait ses images. Son nom tout en haut de l’affiche, une longue biographie à l’entrée de l’exposition, suivi d’un non moins long discours d’explications insipides sur les œuvres accrochées aux cimaises. C’était le temps pas si lointain où le nom du photographe remplissait les salles, peu importait l’intérêt du contenu de son exposition. Une nouvelle marche est franchie depuis quelque temps, le haut de l’affiche est phagocyté par, le mécène, la galerie, le sponsor ou je ne sais quel autre aspirant spécialiste des tiroirs caisses. Vous n’allez plus voir les photographies de ce cher Machin, pas plus que ce bon Machin va vous faire pâmer devant son splendide travail. Vous allez prestement vous montrer à l’exposition de la banque X, à l’exposition du champagne Y, à la manifestation des voitures Z, au concours d’un grand du cosmétique. L’alphabet n’y suffit pas tellement ils sont nombreux à vouloir profiter d’un support dans l’air du temps. En plein milieu des plus grandes manifestations internationales, comme des petits festivals locaux, le business reprend ses marques. Les trappeurs de lumière, ceux qui risquent leur vie pour raconter l’humanité, les poètes du photon, les « alpagueurs » de sourires sont tous passés à la trappe.
Les états et les collectivités publiques portent une très lourde responsabilité dans ces dérives lorsqu’ils exigent leur présence affichée partout (logotypes et plus si affinités) pour leur moindre participation. L’hiatus devient croquignolet lorsque, chacun de nous comprend que l’argent consenti, ou que le local public offert en coup de pouce, et soi-disant compensateur de tous ces petits logotypes envahissants, vient de la poche des contribuables (dont vous faites partie, cher lecteur).
Thierry Maindrault, 12 août 2022
vos commentaires sur cette chronique et sa photographie sont toujours les bienvenus à