Bill Biggart est le seul journaliste à avoir péri sous l’effondrement des tours. Photographe depuis son très jeune âge, il portait ce jour là deux appareils argentiques et un tout nouveau numérique qu’il venait de s’offrir. Sans le savoir, il a couvert le dernier g rand évènement photographié au film.
Bill était plutôt du genre téméraire. Lorsque le premier avion percute le World Trade Center, il salue sa famille et descend rapidement à pied la vingtaine de rues qui le sépare du building en feu. Au contraire de la majorité des photojournalistes, il s’approche un peu trop et périt sous l’écroulement de la deuxième tour. « Je l’ai appelé en lui informant que c’était un acte terroriste, se rappelle Wendy Doremus, sa femme. Visiblement très occupé, il a simplement dit qu’il était en sécurité avec les pompiers et m’a donné rendez-vous vingt minutes plus tard à son studio. Il n’est jamais venu. »
Equipé ce jour là des deux technologies, Biggart a photographié un nombre quasi identique de clichés en argentique et en digital. 150 au total. Par miracle, ses appareils et sa carte de presse ont été retrouvés avec son corps dans les décombres, quatre jours après la catastrophe. « Les photojournalistes portent toujours un tas d’équipements bien ficelés à eux, évoque Wendy Doremus. J’ai retrouvé le tout à la morgue quelques semaines plus tard. C’était encore plus traumatisant. Son âme était dans ces appareils. »
L’appréhension fait d’abord hésiter Wendy. Poussée par la passion de son mari, elle fait finalement développer les négatifs des cinq rouleaux et observe une par une les photographies. Toutes sont d’une grande valeur historique. Sur les fichiers numériques, elle trouve l’heure exacte de chaque prise de vue, annonçant fatalement la dernière que Biggart ait pu enregistrer avant de décéder.
Bill Biggart aimait avant tout la rue. Celle de New York ou celle des nombreuses villes qu’il a visitées au cours de sa carrière. Car l’homme voyageait beaucoup, travaillait avant tout pour en solitaire et s’intéressait aux causes des minorités. « Il était très sensible aux droits des Afro-Américains, se rappelle Wendy Doremus. Il aurait été fier de voir Obama président même s’il prédisait l’élection d’une femme avant celle d’un homme de couleur. » Dans la liste de ses autres « combats » figurent la couverture de la chute du mur de Berlin, le soulèvement de l’Irlande et la cause palestinienne. « Je pourrais déménager à Jérusalem et avoir assez d’histoires à raconter pour le reste de ma vie » avait-il l’habitude de dire à sa femme.
Le 11 septembre est un événement charnière dans l’histoire de la photographie. Le dernier avant la suprématie du numérique. Le photographe a toute sa vie voué un culte à l’argentique. Il en adorait le processus, du bruit de l’obturateur au développement des images. Il en aimait surtout la magie, au point de toujours laisser un appareil au pied de son lit. « Quand le numérique est arrivé, se rappelle Wendy Doremus, Bill était furieux. Il a tout de suite détesté cette technologie. Il disait qu’elle ruinerait la profession et voulait maitriser son expansion. Tu sais combien cette petite carte mémoire m’a couté ? 360$ ! »
Jonas Cuénin