Rechercher un article

Beyrouth : Suite égyptienne, de Fouad Elkhoury

Preview

En 1989, Fouad El Khoury gagne le prix Médicis hors les murs et part en Egypte sur les traces de Gustave Flaubert et Maxime Du Camp. « Flaubert et Du Camp ont dormi au pied des pyramides, ils s’élancaient le matin a dos de cheval et s’écroulaient le soir autour du feu, à demi-enterrés dans le sable, là où s’élevent aujourd’hui des immeubles, j’ai loué un appartement au cinquième étage face au minaret », écrit-il en postface de Suite Egyptienne, publié par Actes Sud en 1997, l’année ou le photographe cofonde la Fondation arabe pour l’image, à Beyrouth. Dans ces paysages où s’efface le temps et où « la couleur a cédé sa place à l’espace », Fouad El Khoury a suivi les empreintes de ses prédécesseurs, dissipées par le sable insoumis, par les grains révoltés des années.

« C’était inévitable, un jour, le fil s’est emmelé et m’a laché. Il fallait le reprendre à zéro. Qui suivais-je réellement, Nada, Flaubert ou Du Camp, à ce jour je n’ai pas de réponse, sauf à évoquer mon instinct. » Le journal visuel de Fouad El Khoury suit ses tribulations, ses disruptions temporelles, ses fantasmes déçus de ce qu’il espérait trouver intact de l’Egypte chaude décrite par Flaubert, ses rêves éveillés en compagnie de sa femme, Nada. « […] cette vieille femme habillée de noir qui vendait ses petits fromages blancs sur un tissu à même la chaussée de la plus sale avenue du Caire, plus tard je finirai par les lui acheter, si elle m’avait demandé ce que je photographiais, j’aurais souri pour cacher mon désarroi, j’aurais inventé une réponse suivant l’humeur du moment, je voyage pour photographier la femme que j’aime, parce que j’aurais fait l’amour avec elle sur la face cachée d’une pyramide dans le désert, celle de Lisht, qu’aucun touriste n’a plus le temps de visiter, ou si j’avais eu du mal à retrouver un lieu qu’avaient traversé Flaubert et Du Camp, j’aurais pris l’air sérieux de celui qui se gratte la tête parce qu’il ne veut pas s’avouer l’inanité de sa poursuite. »

Nada est l’héroïne de cette errance où les points finaux remplacent les points cardinaux, où les grains de ses images floutées par le décalage de la mémoire se mêlent à ceux du sable. Elle incarne Kuchuk Hanem, la courtisane et danseuse qui a bouleversé Flaubert lors d’une nuit moite et nostalgique. « Je l’ai sucée avec rage ; son corps était en sueur, elle était fatiguée d’avoir dansé, elle avait froid. Je l’ai couverte de ma pelisse de fourrure, et elle s’est endormie, les doigts passés dans les miens. Pour moi, je n’ai guère fermé l’œil. J’ai passé la nuit dans des intensités rêveuses infinies. C’est pour cela que j’étais resté. En contemplant cette belle créature qui ronflait la tête appuyée contre mon bras, je pensais à mes nuits de bordel a Paris, à un tas de vieux souvenirs… et à celle-là, à sa danse, à sa voix qui chantait des chansons sans signification ni mots distinguables pour moi », écrivait Flaubert. « Flaubert l’avait aimée à Esna, il lui avait consacré quelques-unes de ses plus belles pages [….]. Je l’ai suivie jusqu’à Esna, dans cette ville égarée le long du Nil, je n’ai vu qu’un groupe de fanatiques trop contents d’en découdre avec le monde, regardant sans y croire Nada-Kuchuk en robe décolletée posant pour moi à la terrasse d’un café, me sommant de la rhabiller, de crainte d’être souillés en s’adressant directement à elle. Je l’ai retrouvée au Caire, dans un palais en voie d’abandon, étendue sur un divan, je l’ai reconnue a sa peau “cafetée”, malgré son visage caché par un éventail et ses pieds chaussés de sandales incompatibles avec l’époque», lui répond El Khoury près d’un siècle et demi plus tard.

A cette suite poétique répond la suite symphonique Révolution, photographies immenses reproduisant en grandeur quasi nature les tombeaux millénaires des pharaons et les paysages monumentaux qui les abritent. Imposants malgré le fracas des années, ils sont la métaphore des cycles immuables de l’Histoire, des forces destructrices qu’excite le pouvoir. Il y a plus de 3 000 ans, l’Egypte connaissait sa première révolution lorsque, à la mort de Pepi II apres quatre-vingt-dix ans a la tête du royaume, ses émissaires locaux revendiquent leur droit a l’éternité. La résonance avec la Révolution de 2011 est retentissante.

EXPOSITION
Suite égyptienne
Fouad El Khoury

Jusqu’au 6 mars 2015
Galerie Tanit Beyrouth
East Village Building
Ground Floor
 Armenia Street
Mar Mikhael

Beyrouth
Liban

http://www.galerietanit.com

http://www.fouadelkoury.com

 

Merci de vous connecter ou de créer un compte pour lire la suite et accéder aux autres photos.

Installer notre WebApp sur iPhone
Installer notre WebApp sur Android