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Beyrouth : Patrick Baz au service de l’AFP

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Portrait en négatif de Patrick Baz, photographe de guerre franco-libanais devenu chef du service photo Moyen-Orient et Afrique du Nord de l’AFP. Il décortique avec L’Œil ses débuts alors qu’il couvre la guerre dans son pays pour le compte des agences étrangères. Il revient également sur les circonvolutions de la photographie passée du noir et blanc à la couleur, de l’argentique au numérique… Une pratique où la recherche d’histoire doit selon lui toujours primer et où il ne faut jamais oublier que la photographie est avant tout un art, et doit le rester.

Les premiers pas :

Patrick Baz commence la photographie d’abord comme un loisir, avec l’appareil photo de son père : « C’est précieux à l’époque un appareil photo. Tout le monde ne peut en posséder un. » Avec ses amis, il se rend sur la ligne de démarcation : « C’était comme un sport. On capturait les destructions dans la ville,  sans savoir vraiment ce qu’on faisait. » Puis, vint le temps du militantisme politique, «  à un âge où on ne choisit pas ».

L’année 1982 sonne comme un déclic avec l’invasion israélienne. Il prend alors la décision d’entrer dans le monde de la photographie et, pourquoi pas, d’en faire un métier. Issu de la bourgeoisie libanaise, ce n’est alors pas un choix facile : « On me voyait plutôt avocat ou médecin, je voulais être pilote d’avion. » Son premier appareil photo est un Canon semi-pro AE1 noir. Il tire son inspiration des livres ou des photographies de la guerre du Vietnam, qui vient tout juste de se terminer. Au Liban, des photographes étrangers débarquent de tous les horizons dans le sillage de ce nouveau terrain d’affrontements. A la même période, Patrick Baz décide de délaisser l’engagement politique pour l’appareil photo. Incapable de tirer, il déclenche.

Avec les photographes aguerris, les rapports ne sont pas forcément confraternels. C’est l’époque des stars, « ils sont plutôt hautains ». Pas de passage de témoin, pas d’apprentissage à leurs côtés. « Ils nous utilisaient comme fixeur. On leur montrait le chemin et ça s’arrêtait là », raconte Patrick Baz qui se souvient particulièrement d’une expérience : alors qu’il propose un sujet en exclusivité à l’agence Sygma à propos de la culture du cannabis dans la Bekaa, l’agence met son histoire en doute. Ils envoient un éclaireur et insiste pour envoyer un de leur photographe, « mais je ne me laisse pas faire ». Puis vient le temps des enlèvements d’étrangers, les stars mettent les voiles, et Patrick Baz se retrouve seul avec un petit groupe de photographes bilingues.

L’âge d’or

« Ces départs nous ont permis de briller et de faire notre chemin. » Il travaille notamment pour l’agence photo Collectif, représentée aux Etats-Unis par JBpictures, et commence à gagner de l’argent : « Des fortunes à l’époque. Bien sûr j’ai tout dépensé ! » Cette période reste pour lui un âge d’or : « Pas forcément par que j’étais excellent, mais parce qu’il fallait pouvoir parler trois langues pour s’en sortir, communiquer avec les rédactions et les agences, vendre et envoyer des télex. » Une époque dorée, parfois frustrante : « On ne voyait pas nos images avant qu’elles soient publiées. On envoyait les films dans un sac par l’intermédiaire d’un passager des vols Beyrouth-Paris ou Beyrouth-New-York. On pouvait passer deux mois sans voir nos images. »

« J’apprends tout sur le tas. Mes débuts me font beaucoup penser aux débuts des photographes syriens aujourd’hui. Malheureusement, eux comme moi à l’époque, nous ne savons faire que ça. C’est le lien commun à tous les photographes qui ont grandi sur des terrains de conflits. On ne leur demande pas de regarder autour. »

Regarder autour, Patrick Baz l’a appris à l’AFP. Plus tard. Mais pendant la guerre ce qu’on lui demande c’est d’être là au “bon” moment, et de déclencher à temps. « Pourtant je voyais autre chose, c’était mon pays. » Un regard qui ne trouve pas d’échos. Son surnom : Boum Boum Baz : « Là où j’allais, il y avait une voiture piégée. J’étais le premier. »

L’AFP

Un challenge. On lui demande alors de s’extraire de son pays, de ce qu’il connaît, pour aller dans des terrains inconnus ou chaotiques. Comme ce projet en Israël de créer un réseau de photographes palestiniens. « En formant des gens, j’ai appris tout ce qu’on ne m’a pas donné : montrer la vie, les gens, au-delà des lanceurs de cailloux. »

Petit à petit, il commence à introduire des nuances. Les contrastes de la vie face aux destructions et à la mort. Un travail qui lui sera parfois reproché. En 2006, il immortalise la fille au narguilé de la piscine de l’hôtel Saint-Georges à Beyrouth, en pleine guerre entre le Liban et Israël. Certains l’accuseront de photo-montage. Même chose pour la jeune fille au voile rose dans les ruines du camp de Khyam, ancienne prison au sud du Liban. « Cela paraît impossible à comprendre pour ceux qui ne connaissent pas le pays, alors c’est sûrement un montage », regrette-t-il. Même chose pour la photo d’une petite fille courant dans les rues bouclées par l’armée de Jérusalem : « Bien sûr je l’attendais ce moment. Dans ce métier la chance on la provoque », répond-il à ses détracteurs. « Ne pas avoir de chance dans ce métier c’est déjà une faute professionnelle », complète-t-il en citant Pierre Lazareff (journaliste français, fondateur de France-Soir).

La Syrie d’aujourd’hui est-elle le Liban d’hier ?

Depuis le début de la guerre en Syrie, Patrick Baz organise des cessions de formations à destination de photographes syriens pour construire le réseau de l’AFP sur le terrain. Le contexte est différent de ce qu’il a connu au Liban : « La Syrie a toujours été un pays fermé. Il n’y a pas de vraiment de journalistes dans le sens occidental de la définition car la liberté d’expression y est absente. » Dernièrement, il a formé une deuxième équipe. Virtuellement cette fois, car il est de plus en plus difficile de se rencontrer. L’AFP fait appel à eux pour avoir des informations brutes : « Ils n’ont pas été formés dans le sens journalistique du terme. » Certains sont plus militants. Un engagement qu’il comprend en faisant référence à sa propre expérience : « Ma hantise pendant la guerre était de savoir ce que j’allais faire si une voiture piégée explosait dans mon quartier. Poser mon appareil ? »

La révolution numérique

Patrick Baz avoue avoir été choqué par la réaction de ses confrères à l’arrivée du numérique : « C’était comme une hérésie, il ne fallait pas y toucher. Les ayatollahs de la photographie dictaient leur fatwas. » Pour lui au contraire, la technologie permet au photographe de se faciliter la vie dans certaines situations. Comme lors de ce séjour à Bagdad en Irak en 2013. Sortir son appareil photo est interdit. Lui dégaine son téléphone portable et, grâce à l’application Hipstamatic, immortalise la vie dans les cabarets de Bagdad.

« Beaucoup des images que je fais aujourd’hui n’auraient jamais pu être transmises en argentique, par manque de temps pour développer ou pour les transmettre », raconte Patrick Baz, qui se souvient notamment de cet instant à Benghazi en Libye dans sa chambre d’hôtel alors que le régime bombarde la ville : « Un avion passe au-dessus de Benghazi. Je déclenche. Dès qu’il s’est écrasé, je charge les photos sur mon ordinateur et j’envoie. » Alors que le fichier est en train d’être transmis, un journaliste fait irruption dans sa chambre et lui conseille de filer. « Imaginez-moi dans ma salle de bain en train de développer la photo à ce moment là… elle aurait été perdue. »

Enfin, le numérique lit les couleurs comme notre œil ne pourra jamais lui-même les lire. La nuit par exemple, la photo peut retranscrire une peinture invisible à l’œil nu. Comme cette photo d’un champ de mines qui explose, prise en Afghanistan. La seule lumière est celle de la lampe torche des militaires. Il change les ISO, le boitier fixé au kevlar, comme sur un pied, il déclenche et immortalise l’instant, plus vrai que nature.

Et après ? Les enjeux au sein d’une agence de presse

« Aujourd’hui, j’ai arrêté les conflits. Je ne supporte plus le bruit des explosions. Je veux introduire de la vie dans mes photos, montrer une autre image du Moyen Orient. A l’AFP il y a une place pour ça. Une certaine liberté d’expression est laissée aux photographes parce que notre métier c’est d’informer, et de raconter. »

Le monde change tout le temps. On a vécu la révolution du numérique, internet, l’ordinateur. « Des moments fabuleux ! Je ne pouvais pas rêver mieux. » L’agence ne peut se permettre de louper le coche. Il faut coller au développement de la technologie. Et continuer de chercher les histoires et les belles images. Un crédo qu’il s’applique à lui même, sans jamais oublier que la photographie est un art. Dans photojournaliste, explique-t-il, il a deux termes distincts ; photo et journalisme : « Il faut savoir combiner les deux. C’est un métier subjectif par le choix de l’angle, du cadre, de la lumière. Il n’y a pas plus personnel qu’une photographie. »

S’il ne devait en rester qu’une…

« Une photo dépend du temps, du jour… Les photos des autres m’ont beaucoup plus marqué que mes images. J’ai parfois tendance à oublier les miennes. Je saurais reconnaître l’image d’un des 70 photographes avec qui je travaille dans la maison. Certaines me font vibrer. Pour faire une bonne photo je vous dis : Montrez-moi ce que mon œil ne voit pas. »

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