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Bernard Rancillac, quand la peinture d’histoire devient photographique

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Depuis le 21 février le Musée de la Poste présente la rétrospective du peintre Bernard Rancillac à l’Espace Niemeyer dans le 19e arrondissement de Paris. C’est l’occasion de (re)découvrir la richesse et la diversité de l’œuvre d’un peintre qui a commencé par pratiquer une peinture expressionniste abstraite au début des années 60, mais qui très rapidement, en 1966, revient d’une manière radicale à la figuration. En effet, c’est en 1966 que le peintre Hervé Télémaque lui offre un épiscope, appareil qui permet de projeter une image photographique sur la toile, qui bouleversera le rapport que Rancillac entretient avec la peinture.

En 1937, Pablo Picasso a choisi le noir et blanc pour peindre son chef d’œuvre Guernica et ajouter ainsi à ce grand tableau d’histoire une qualité photographique. Non que le tableau ressemble à une photographie, il s’agit de Picasso, mais pour que la réalité du drame s’exprime de façon incontestable tel que le ferait un document photographique par définition noir et blanc à cette époque.

Rancillac pousse plus loin cette volonté de rendre compte objectivement de son époque et de ses travers en choisissant de s’effacer en tant que peintre pour donner tout son poids à la qualité documentaire de l’image photographique reproduite à l’aide du pinceau. Contrairement à Guernica, c’est l’importance et le choix des couleurs qui fait des images de Rancillac de véritables “tableaux”.

La première œuvre présentée à l’entrée de l’exposition annonce d’ailleurs la couleur ! Il s’agit de Peinture pas morte de 1968 composée de trois grands panneaux dont les deux à gauche ne présentent chacun que 10 rectangles de différentes couleurs en aplat (du jaune au violet) alors que sur le panneau de droite est collé sur fond blanc et en son centre un appareil photographique. Sur chacun des trois panneaux est rappelé en lettres noires le titre de l’œuvre : Peinture pas morte.

Cette œuvre s’inscrit certainement en réaction aux critiques formulées à la suite de son exposition L’année 66 à la galerie Blumenthal-Mommaton où Rancillac présentait 24 toiles peintes à partir de photographies et s’inspirant d’événement ayant eu lieu cette année 1966. Certains sont anodins comme Le dernier whisky (1966) qui présente une image photographique à l’eau de rose empruntée à un roman photos de l’époque où d’autres sont plus graves comme Chez Alberto (1966), hommage à l’artiste Alberto Giacometi qui meurt cette année 1966.

L’ensemble de ces toiles a provoqué la colère de certains amateurs de peinture par son emprunt systématique à la photographie et par sa diversité de registres d’inspirations reflétant pourtant cette prolifération d’informations de natures variées qui ne cessera de s’accélérer tout au long de cette fin de 20e siècle et jusqu’à aujourd’hui.

L’exposition L’année 66 était dans son ensemble un dispositif “peinture d’histoire” visionnaire abordant la diversité et l’importance des images photographiques proposées déjà à l’époque comme bien de consommation/information.

L’œuvre la plus spectaculaire de l’exposition et qui confirme cette conjugaison photographie/peinture d’histoire est évidemment A la mémoire d’Ulrike Meinhof (1978), membre du groupe allemand d’extrême gauche Fraction Armée Rouge. Elle est constituée de treize grands panneaux représentant en alternance des images horizontales de voitures de courses en mouvement et des vues verticales d’un gardien de prison s’enfonçant progressivement dans un long couloir d’un quartier haute sécurité d’une prison anonyme. L’opposition vitesse-liberté-horizontalité contre immobilité-enfermement-verticalité n’est pas seulement le résultat du choix des sujets, mais bien le principe photographique lui-même rendant compte de l’accélération des automobiles par un flou latéral de plus en plus prononcé et chronophotographique par la silhouette du gardien qui avance image après image dans le couloir pour finalement disparaître. L’ensemble mesure 40 mètres de long.

Le peintre Bernard Rancillac revendique à travers son œuvre l’image photographique comme moyen pour rendre compte en couleur et en peinture du monde et de son époque. Il se fait ainsi témoin comme peintre d’histoire de la violence de ce monde (scène de torture dans Enfin silhouette affinée jusqu’à la taille (1966) famine dans Sainte-mère la vache n°2 (1972), guerre civile dans Belfast (1977)), de ses travers (pornographie dans La pornographie censurée par l’érotisme (1969)) aussi bien que de ses futilités (roman photo dans Le dernier Whisky (1966), musique jazz dans Lady Day (Billie) (2006) ou star du cinéma dans Cinémonde n°9 (1984)).

En s’intéressant à la photographie d’un point de vue sociologique, Pierre Bourdieu parlait d’un « art moyen » ; Rancillac, ami de Bourdieu, l’élève par son engagement au niveau de la peinture d’histoire tout en lui reconnaissant son omniprésence dans nos vies.

Nicolas Baudouin

Nicolas Baudouin est un artiste plasticien et un auteur canadien qui vit et travaille à Paris.

 

Bernard Rancillac
Du 21 février au 7 juin 2017
Espace Niemeyer
2 Place du Colonel Fabien
75010 Paris
France

http://www.parisinfo.com/musee-monument-paris/146160/Espace-Niemeyer-Siege-du-Parti-communiste-francais

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