Il est difficile de ne pas penser à Richard Avedon quand on regarde les travaux Coal Miners (Mineurs de charbon) et Happiness (Le bonheur) de Li Hu. Il photographie les mineurs couverts de suie, travaillant dur, dans une profession qui comporte de nombreux risques. C’est l’histoire trop familière d’individus qui pour la plupart doivent subvenir aux besoins de leurs familles et travaillent dans cette industrie parce que c’est la seule chose qu’ils savent faire ou la seule opportunité qu’ils ont. Cependant, le statut particulier des mineurs dans le développement de la Chine aussi bien que l’usage délibéré de décors variés rendent le travail de Li Hu unique.
Comment ont débuté les séries Coal Miners et Happiness ?
Coal Miners était au départ un devoir que je m’étais assigné.
Quand j’apprenais la photographie, c’était très important pour moi d’intégrer les bases. Et j’ai commencé par faire des images de fleurs, de paysages, et d’autres thèmes classiques. En 2000, je suis allé à Deng Fen, dans la province du Henan pour réaliser quelques panoramiques. Le temps n’était pas favorable, alors j’ai décidé d’aller voir les mines de charbon, qui font la réputation de cette province. Avec l’aide d’un villageois, j’ai rencontré certains mineurs. C’était assez saisissant parce qu’ils avaient l’air de statues noires, couverts de suie de la tête aux pieds. Avoir l’occasion de leur parler et de comprendre leur implication dans leur travail a été une expérience poignante, et le projet est né de là.
Le travail accompli entre 2000 et 2007 a été partagé avec Jiang Jian (un photographe et critique chinois respecté) et d’autres photographes du Henan qui y ont répondu par leurs éloges et leur soutien.
D’autres photographes chinois couvraient le même sujet, et j’ai réalisé qu’il était vraiment important de trouver ma propre voie, différente de la leur. J’ai été forcé de travailler plus pour explorer différents styles.
Pouvez-vous décrire le processus de création de ces œuvres ?
Coal Miners a été réalisé dans un style documentaire avec des compositions variées en noir et blanc. Happiness s’est concentré sur des séries de portraits, qui livraient des individus au contraste de différents décors.
Je suis allé à l’endroit où les mineurs vivent et je leur ai demandé de poser pour les portraits. Ils ont tous répondu qu’ils étaient trop sales pour que le résultat soit intéressant. Ils m’ont demandé s’ils pouvaient prendre une douche et porter des vêtements propres pour la photo. Je leur ai répondu, « C’est une partie de votre vie, et c’est important de la capturer. » Mais ils ont insisté. Ils ont dit que s’il y avait des fleurs ou quelque chose de joli en toile de fond, cela ferait un meilleur cliché. Je savais qu’un de leurs rêves était d’être pris en photo devant Tiananmen, un symbole très puissant pour la Chine. Alors j’ai utilisé ce décor pour leur photo de cérémonie, et un fond blanc pour les prendre quand ils n’étaient pas lavés, pour faire ressortir leurs caractéristiques dans leur environnement de travail.
Pouvez-vous décrire une photo mémorable de Coal Miners ?
Dans le portrait intitulé « Dengfeng City », il y a une photo d’un travailleur assis sur des marches. Cet homme m’impressionne parce que la manière dont il est habillé me rappelait les pires moments de mon enfance, quand les villageois portaient des vieux vêtements avec des trous et des déchirures, qui étaient constamment couverts de nouvelles pièces. Vous pouvez sentir à quel point ce mineur a un travail et une vie dure. Et malgré cela, il est fier, stoïque, héroïque.
Il y a aussi une forme de désespoir pour beaucoup de ces travailleurs. Ils ne sont pas éduqués, et doivent faire un travail manuel dur dans un environnement dangereux avec des salaires très faibles. Ils ne sont pas tous protégés, parce qu’on ne leur fournit pas toujours le bon équipement. Et tout le monde n’est pas suffisamment résistant pour être un mineur. Son expression sur la photo traduit aussi cette réalité.
Et une photo d’Happiness ?
Il y a le portrait d’un petit homme qui présente un retard mental. C’est un homme très simple, sans éducation, qui travaille dur pour faire de l’argent. J’admire la manière dont il s’investit, sa capacité à consacrer 100% de son énergie à une tâche pour laquelle il ressent une satisfaction d’amour-propre. Les travailleurs comme lui sont remarquables parce qu’ils mènent une vie humble et dure. Plus dure et moins bien rémunérée que l’individu moyen. Et pourtant, ils sont capables de trouver de la joie et de la paix parmi les leurs. Ces gens sont considérés comme la classe la plus basse de la société mais ils en constituent la base.
Leur travail permet à d’autres de vivre des vies confortables, et les mineurs méritent beaucoup plus de reconnaissance.
Pourquoi avez-vous appelé cette série de portraits Happiness ?
C’est une manière d’interroger la définition du bonheur de ceux qui vont la regarder. Nombreux sont ceux qui, en ayant peu, sont bien plus heureux que d’autres qui ont beaucoup. C’est aussi une manière de souhaiter à ces mineurs toute la joie possible.
Cette interview a été conduite et réalisée par CYJO