C’est la plus jolie histoire que nous avons reçue cette semaine !
Elle nous vient de Barnabé Moinard !
Un matin gris et froid de janvier sur un marché à l’heure du déballage. Parmi les boites en cartons de photographies en noir et blanc surgissent, réunies par un élastique usé, six pochettes roses.
Les lettres jaunes présentées par deux silhouettes féminines annoncent le contenu : dans chaque pochette, une série de douze positifs couleurs Kodak de pin-ups.
Nous sommes en Italie, au début des années 1960.
Technofilm, installée à Milan, éditait notamment des séries de photographies : voyages en Europe, villes et monuments célèbres, contes pour enfants, chefs-d’oeuvre de l’art… La firme va introduire en Italie la Stéréo-Rama et ainsi largement diffuser son vaste répertoire d’images. Insérées dans une visionneuse tenue à la main, on faisait défiler les planches de vues les unes après les autres. Un effet d’optique les faisait apparaitre en trois dimensions. En 1950 apparaissent les premières pin-ups.
Mais à la suite d’un procès quant au système de visionnage, la marque italienne doit cesser la commercialisation de ces appareils. C’est pourquoi les séries suivantes ne seront plus disposées en cercle sur une roue en carton mais sous forme de diapositives au format 24×36 rangées dans des pochettes.
Avec une telle archive on voudrait écrire une histoire du genre pour mettre ces diapositives en perspective. Quelle est l’histoire de la pin-up ? Quelles sont ses origines ? Son évolution, ses usages et les réactions que le mythe qu’elle suscite dans le contexte de l’après-guerre ? Surtout on cherche des itinéraires différents. On voudrait traverser les années 1960 et Pop art comme on traverserait Venise : par les ruelles parallèles à la recherche d’objets oubliés loin des circuits balisés.
Alors on croise Pauline Boty (1938-1966) étoile filante londonienne passée complètement sous les radars malgré une oeuvre éblouissante. Ses peintures The Only Blonde in the World, Scandal ‘63, It’s a man world sont en prise totale avec l’époque, un regard lucide et critique sur la société. Peut-être a-t-elle aussi été en prise avec un certain préjugé. Car comment être artiste lorsqu’on ressemble à une pin-up ?
Plus loin, il y a Anni Sprinkle, artiste et activiste américaine qui, avec Anatomy of a Pin-Up Photo (1991), nous donne enfin une grille de lecture.
Mais restons en Italie et remontons le temps – après tout, les ruelles de Venise mènent à Rome elles-aussi – et redécouvrons Boccace 70. Sorti en 1962 le film rassemble quatre épisodes sur la moralité et l’amour des temps modernes, tournés par quatre réalisateurs : Mario Monicelli, Federico Fellini, Luchino Visconti et Vittorio de Sica. Federico Fellini tourne La Tentation du Docteur Antonio.
Le Docteur Antonio s’est donné une mission : être le gardien de la morale. Au volant de sa Fiat, il traque le vice, le crime et l’immoralité qui déferlent. Il poursuite les couples, interrompt un cabaret, arrache les couvertures de magazines… Puis un jour, dans le parc devant ses fenêtres un panneau publicitaire est dressé. Anita Ekberg, immense, superbe et troublante, invite à boire plus de lait « Bevete più latte! » Cette image le hante nuit et jour, il hallucine, se met à délirer puis tente de grimper sur l’affiche. Anita Ekberg sort du panneau et se promène dans les rues et rend fou le docteur qui au petit matin est emporté par une ambulance.
Devant ces soixante et onze pin-up réunies, le Docteur Antonio aurait hurlé au scandale.
Mais ce matin de janvier, ce n’est pas la folie qui l’a emporté, c’est le plaisir de mettre la main sur une archive de qualité, support de recherches et de découvertes.
Barnabé Moinard
Barnabé Moinard Photographies
Pin-up [Series 1-6] – Technofilm, Milan,
71 color slides, c. 1960.
Price : 350 euros
www.barnabemoinard.com
@barnabemoinard_photographies