Lorsque Samuel Sidibé m’a contacté pour me demander de concevoir une exposition autour d’une collection africaine pour la 9e édition des Rencontres africaines de la photographie de Bamako, je n’ai pas hésité un instant, tant me semblait pertinente la démarche : inviter un collectionneur africain à partager avec un public aguerri par la fréquentation régulière de la biennale la plus significative du continent démontrait la volonté d’inscrire la photographie africaine, et plus largement la production d’images par des artistes originaires du continent, dans un environnement qui suscite une réflexion sur les conditions de production et les débouchés d’une création dont le marché jusque récemment, se développait hors du continent. Pierre Gaudibert, génial inventeur le martelait sans cesse : un art sans marché, c’est-à-dire sans base locale, est un art sans avenir. La constitution de collections de plus en plus pertinentes démontre que les productions africaines ont enfin trouvé un débouché en Afrique. Montrer une collection dont le contenu couvre toutes les formes de créations et dont le fonds excède par conséquent les limites strictes de la photographie n’était pas une chose aisée, parce que l’exercice répondait à une double exigence : d’une part, livrer au public des œuvres signifiantes, de l’autre, montrer, à travers le choix des œuvres, la philosophie qui sous-tend toute collection digne de ce nom.
La collection Sindika Dokolo, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, est la plus importante collection d’art contemporain rassemblée par un privé. En plus des œuvres accumulées depuis plus d’une décennie, elle s’est enrichie du fonds photographique Revue noire qui est sans doute à ce jour, le plus complet en matière de photographie africaine contemporaine. J’ai choisi, parmi les milliers d’œuvres dont je disposais, d’axer l’exposition sur la représentation de soi.
Entre les images en noir et blanc prises en studio dans les années 1960 et les approches plus contemporaines, il existe un fil conducteur qui est celui de la révélation de soi à soi-même. De la même manière, les quatre vidéos qui seront projetées évoquent la tentative ontologique de répondre à la question posée par Ernst Bloch, qu’il qualifia d’essentielle : la question en soi du Nous. Quel est ce « nous » que l’on nous jette au visage du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest ? Quelle est cette identité que certains voudraient figer dans une vision identitaire et exclusive ? Il n’existe de Nous véritablement que dans la mesure où nous sommes capables de dépasser les bornes absurdes de l’altérité. Le créateur africain n’est africain que parce qu’il affirme une appartenance à un monde qui dépasse le monde. Un monde qui, plutôt que d’exclure, inclut. Et cela, depuis l’aube de l’humanité. Et les soubresauts nationalistes auxquels nous assistons dans le monde entier ne parviendront jamais à annuler cette vérité essentielle. Le seul Nous qui vaille est celui de notre humanité.
Simon Njami
Un monde qui dépasse le monde
La collection Sindika Dokolo
Commissariat : Simon Njami
Avec le soutien de la Fondation Sindika Dokolo.