J’accorde une grande valeur aux gens, et tout particulièrement à ceux que j’appelle « les vraies gens ». Ils me sont une source de joie et d’inspiration. Depuis un certain temps, l’impact du pétrole sur la vie de la plupart des régions productrices donne lieu à d’énormes paradoxes – en particulier au Nigeria, sixième pays aujourd’hui à fournir du pétrole aux plus gros pays consommateurs dans le monde. Ce projet a vu le jour quand je travaillais comme photographe pour un journal local et plus tard pour Associated Press. Je remarquais au cours de mes déplacements la profonde injustice dont était victime la zone du delta. On avait beaucoup entendu parler de cette situation, mais très peu d’images avaient circulé, en raison de la topographie hostile de la région. S’inscrivant dans la veine de la photographie documentaire contemporaine, cette série de photos réalisées entre 2003 et 2007 dénonce les conditions de la vie quotidienne et la structure socio- économique qui les produit. Ces quarante dernières années, le Nigeria qui compte une population approximative de 140 millions d’habitants a généré aux côtés des multinationales d’immenses richesses grâce à l’exploitation pétrolière. Avec environ 95 % des exportations provenant du pétrole, le pays dépend d’une seule industrie, limitée dans le temps. La répartition des recettes occasionnées par une croissance économique aussi spectaculaire est toutefois très inégale.
Plus de 70 % de la population vit avec moins d’un dollar par jour. Ces images rendent compte des réalités économiques de la vie de tous les jours et du drame invraisemblable de voir le pétrole devenir une marchandise ; certains paysages attrayants du delta donnent matière à penser le bon, le mauvais et le laid, que ce soit les effets de la stagnation économique, la dégradation de l’environnement et le chauvinisme politique, les perspectives en matière d’esthétique. Je veux montrer la dualité de la vie dans le delta : les enfants qui jouent au foot dans un champ sur fond de torchères, les femmes qui dansent dans leur tenue traditionnelle un mouchoir blanc à la main, la verdure et l’abondance des mangroves, le miroitement de l’eau dans le soleil couchant, les femmes pêchant dans les eaux polluées, la résistance des militants face au gouvernement et les compagnies pétrolières qui paradent dans les criques du delta tels des commandos. Étonnamment la vie continue, chacun avec sa routine quotidienne, souriant envers et contre tout. Je veux donner à ce paradis perdu un visage humain ; mon désir avec ces images n’est pas de heurter, mais d’amener le spectateur à s’en approcher afin de susciter une émotion, un ressenti qui modifie profondément sa perception des choses.
George Osodi (Nigeria)
Oil Rich Niger Delta, 2004-2007
Commissariat : Michket Krifa