Aux Rencontres d’Arles, elle est l’une des rares expositions où la file est quasiment systématique pour entrer et où la louange du public est totale : « Sabine Weiss, une vie de photographe ». À l’âge de 97 ans, la photographe d’origine suisse est enfin montée au pinacle. Couverte par le prix de Kering « Women in motion » et un gros bouquet de fleurs lundi 5 juillet, elle a donné toute la semaine de son temps pour signatures et rencontres auprès des visiteurs. Rencontre avec la commissaire de son exposition, Virginie Chardin, qui revient sur le projet de cette exposition, déjà importante dans l’histoire de la photographie.
Virginie Chardin, commissaire de l’exposition dédiée à Sabine Weiss : « Il y a au moins 1/3 d’images inédites, jamais exposées »
Avec cette exposition, nous avons l’impression que c’est enfin la consécration de Sabine Weiss. Qu’en pensez-vous ?
Oui, c’est vrai. Je dirais que c’est l’aboutissement d’un travail de valorisation qui est mené depuis maintenant quelques années. D’abord par son assistante, Laure Augustins, qui est venue l’aider il y a environ dix ans. Cela a permis à Sabine Weiss de se pencher sur ses archives, ce qu’elle n’avait jamais vraiment fait. Et puis, il y a eu une chose importante : Marta Gili, ancienne directrice du Jeu de Paume, a décidé en 2015 de lui consacrer une exposition au Château de Tours. C’est ainsi que j’ai fait la connaissance de Sabine Weiss et qui m’a permis de faire quelques fouilles dans ses archives pour cette exposition afin de trouver des photographies peu ou jamais montrées. C’est la première fois qu’un commissaire d’exposition ouvrait ses archives. Étant une personnalité très indépendante, c’était assez déconcertant pour elle. Nous avons eu un débat, notamment pour les images inédites. Elle avait fait un corpus depuis vingt ans dont elle ne sortait pas. Petit à petit, nous sommes devenues amies et je l’ai aidé à poser un regard différent sur ses photographies. Je suis alors revenue de nombreuses fois la voir et elle m’a laissé fouiller de plus en plus pour préparer cet événement aux Rencontres d’Arles.
Quelle a été votre intention concernant cette exposition ?
Quand nous avons songé à faire une exposition ici, aux Rencontres d’Arles, j’ai tout de suite dit qu’il fallait montrer beaucoup d’images inédites, jamais exposées. Il y en a 1/3 au moins dans cette exposition. J’ai essayé de montrer un ensemble qui soit représentatif de son style, de sa singularité, et qui ne montre pas seulement la photographie humaniste qu’on connaît, mais aussi des travaux de commande afin d’expliquer un peu ce qu’était une vie de femme photographe qui a travaillé quand même pendant soixante-dix ans. À un moment, j’ai pensé aussi montrer certaines de ses photographies en couleur, mais elle n’a pas voulu finalement. Ce sont des photographies de voyage ou de commande qu’elle ne sentait pas dans ce contexte.
Qu’est-ce qui fait à votre sens la singularité de Sabine Weiss, au-delà de sa touche humaniste ?
Je dirais que c’est une photographe qui est très directe. Elle est très sociable et c’est le contact avec l’autre qui va lui faire appuyer sur le déclencheur de l’appareil photographique. Il n’y a pas de distance. Quand elle photographie un petit mendiant à Tolède, elle ne photographie pas la pauvreté, elle photographie cet enfant-là parce que son regard l’a attiré. Je pense qu’elle est elle- même une enfant. Je ne voudrais qu’on pense que c’est la « photographe des enfants », mais à mon avis c’est resté une enfant. Ce n’est pas une photographe qui va documenter un sujet social. Dans ses photographies, il n’y a pas de message, il n’y a pas de petites scènes, ni de clin d’œil, il y a une immédiateté, une présence.
Vous l’expliquez comment ?
C’est une femme joyeuse, qui a été heureuse avec son mari, très fusionnel avec lui et la vie semblait être les copains, les artistes, la vie de bohème. Elle ne s’est pas tellement posé de questions. Elle a commencé à travailler parce qu’il y avait du travail. Elle n’a finalement pas tellement pris le temps de se poser et d’avoir une réflexion sur ce qu’elle fait. Elle commence maintenant et se rend compte qu’elle a documenté le siècle. Je pense que l’appareil photo est pour elle une vibration de vie.
Est-ce qu’avec cette exposition, il n’y aurait pas une facette d’elle qu’on connaissait peu : la figure du recueillement ? Il me semble qu’il y en a un certain nombre ici.
Oui, je pense que c’est quelqu’un qui s’intéresse à la fragilité. Que ce soient les enfants, les vieux, les aliénés ou même des gens moches, des gens un peu en détresse, c’est la fragilité des êtres qu’elle cherche souvent. Je pense qu’elle était particulièrement touchée par ces personnes. Aussi, dans la dernière partie de son œuvre, elle s’intéressait beaucoup aux croyances, elle a beaucoup photographié des personnes dans les églises. Une part mélancolique qu’on retrouve par exemple dans son dernier livre Émotions.
Propos recueillis par Jean-Baptiste Gauvin et Coline Olsina