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Arles 2021 : Soudan, terreau d’espoir : Le coup de coeur de Jean-Baptiste Gauvin

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Une exposition aux Rencontres d’Arles relate le premier jalon d’une révolution qui est en train de se faire dans l’un des plus grands pays d’Afrique. Si les défis sont immenses, la première pierre du changement est posée, celle qui est montrée ici, avec des photographies de manifestants prises parfois au péril de leurs vies.

 S’il y a des étoiles aux Rencontres d’Arles cette année, c’est bien dans les yeux de ces Soudanais qui sont descendus dans la rue au printemps 2019 et, comme pris dans une transe révolutionnaire, ont organisé un énorme sit-in qui aura permis de chasser le dictateur Omar el- Béchir à la tête du pays depuis 30 ans.

Ce n’est pas le prix du pain ou de l’essence, ni les pressions diplomatiques ou extérieures qui auraient été à l’origine de ce colossal mouvement de contestation, mais le soudain refus d’accepter une seconde de plus un système politique inhumain, la terreur entretenue par le pouvoir dont plus personne ne voulait. C’est ce qu’affirme en tout cas Ula Osman, 22 ans, qui a connu cette délation à chaque coin de rue et ces policiers déguisés en civils qui vous arrêtent immédiatement pour un mot déplaisant sur le régime comme le faisait autrefois la Gestapo allemande et le NKVD soviétique. Aujourd’hui, cette jeune femme au regard doux et vif, est à la fois photographe et membre du gouvernement actuel de son pays. Elle fait partie des artistes invités par le festival et c’est la première fois qu’elle met les pieds en Europe de sa vie. Elle trouve Arles magnifique, mais regrette que l’écoute accordée à ce qu’il s’est passé au Soudan manque parfois.

Énergie créatrice

Selon elle, tout est donc parti d’une saturation profonde, en particulier chez les femmes. Celles-ci n’avaient par exemple pas le droit de voyager avec leurs enfants sans autorisation spécifique de leurs maris et devaient accepter de ne plus jamais revoir leur progéniture dans les cas de divorce. Les voix de ces femmes meurtries se sont mises à s’élever dans les rues, à certaines heures de la journée, afin d’appeler au rassemblement et à dire non à un système qui les écrase, les humilie et les empêche de vivre comme elles sont.

En quelques jours, des attroupements immenses gagnent le Soudan et une vague humaine déferle sur Khartoum, la capitale, pour exiger le départ du dictateur. Il ne faudra pas une semaine pour que celui-ci soit chassé et que s’ouvre alors une période incertaine, faite de changements à la fois brutaux et profonds, avec l’avènement progressif d’une nouvelle société. Pendant ces journées de sit-in, dans un large quartier de la ville, de très nombreuses personnes investissent les lieux avec une énergie créatrice magnifique, discutent de l’avenir du pays, des évolutions à faire, de ce qu’ils n’acceptent plus. Le pays est un corps immense qui se cherche un avenir et opère une transformation radicale. Chaque individu repense le monde et sa vie à l’aune de la sidération de voir la dictature en place tomber tout à coup.

Chant des poètes

 Dans l’exposition, un film de Hind Meddeb – aussi auteure des textes – livre des témoignages passionnants sur cette période extraordinaire, comme celui de cette femme âgée d’une quarantaine d’années, le voile sur la tête, assise à même le sol, disant à une amie avoir vu un imam au volant d’un superbe 4×4 de luxe, le même qui profère des sermons pénibles où il juge immoral le comportement des femmes qui manifestent pour leurs droits. Elle se demande comment un homme censé être pieux et incarner la religion de son pays n’est qu’un Tartuffe qui prêche aux autres ce qu’il n’est même pas capable de s’appliquer à lui-même. La libération des Soudanais vient du réinvestissement qu’ils font d’abord avec les mots, leur parole redevenue plus libre, leur regard qui s’affranchit des apparences trompeuses d’un pouvoir terrifiant.

Après le cri des femmes, bientôt le chant des poètes, les écritures manuscrites qu’on inscrit sur les murs et les T-shirts, sur les fronts aussi, tandis qu’on marche sur les rues et les voies ferrées, des mots qu’on lance comme un javelot invisible plus fort que toutes les armes létales réunies.

Fort de l’espoir qu’il porte et offre sans cesse, même quand le moral tombe ou que l’angoisse surgit, menacé toujours par l’armée et les fidèles du dictateur déchu qui manigancent dans l’ombre pour étouffer le mouvement.

À Arles, les photographies sont là pour montrer au monde qu’il n’en est rien, que même dans ce pays si méconnu, caricaturé, si peu écouté par la communauté internationale, il y a le feu d’un soulèvement dans les cœurs et l’abdication d’un régime qui a trop longtemps blessé et tué impunément ses citoyens. Quand, au bord des larmes, Ula raconte qu’elle a vu devant elle un étudiant se faire poignarder dans son université pour avoir seulement osé exprimer son mécontentement, nous comprenons combien est puissante l’onde qui a chassé le dictateur qui en était responsable.

Ces 57 jours de sit-in documenté ici, dans l’exposition, montrent une liberté d’expression retrouvée, comme un nouvel oiseau qui se serait posé au centre du pays et couvrirait de ses ailes l’ensemble d’un territoire esseulé, où les yeux pleins d’espoir s’autorisent enfin à regarder le ciel et l’horizon.

Un acte salutaire

 À Arles, certains disent avoir été déçus par l’exposition pour la raison qu’ils ne trouvent pas dans les photographies exposées une audace stylistique ou une esthétique alléchante. Mais si le visiteur accepte que la photographie constitue d’abord une porte d’entrée vers un sujet grave, complexe et passionnant, il pourra être ébahi. Aussi grâce à la formidable pédagogie déployée, notamment réalisée par l’une des commissaires de l’exposition et photographe Juliette Agnel, qui, à l’occasion d’un projet personnel au Soudan, a perçu la nécessité de témoigner de cette révolution en cours et a tout fait pour que cette réunion de photographes soudanais voit le jour. En quelques phrases simples, sans faire de raccourcis, l’exposition parvient à résumer une situation si difficile à comprendre quand on ne connaît rien ou presque rien de l’histoire politique de ce pays d’Afrique.

Voilà pourquoi elle résonne comme un acte salutaire et qui peut faire grandir celles et ceux qui l’arpentent.

Si elle peut sonner étrangement à côté d’expositions tournées vers une seule proposition esthétique, conceptuelle ou historique, elle montre peut-être mieux qu’aucune autre que l’art est d’abord l’expression personnelle de tout être et que celle-ci est magnifique quand elle jaillit soudain, quand elle vient de personnes qui ont été bâillonnées par la terreur pendant tant d’années et l’osent un jour avec un courage de héros.

Cette énergie-là, ces cœurs debout, ces filles qui vivaient un calvaire et se sont levées soudain, Ula rêve de les solidifier et de les édifier peu à peu pour des lendemains meilleurs. Rien n’est encore gagné. Assise dans le salon d’un hôtel moderne en bordure du centre historique d’Arles, un peu à l’écart de l’agitation du festival et des magnifiques immeubles en pierre, elle résume sa vision en expliquant qu’il faut du temps et qu’il faut prendre soin de ce pays comme d’un nouveau-né. Pour elle, les 57 jours du printemps 2019 sont une naissance. Elle tient à dire que d’énormes pas ont déjà été franchis depuis, comme l’interdiction de l’excision pour les filles ou encore la création d’un gouvernement issu de la société civile. Il y a cependant un défi énorme. Actuellement, depuis ce mouvement de contestation, le pays est dirigé par deux entités. Non seulement ce gouvernement, mais aussi un comité militaire régi par un sbire de l’ancien dictateur, homme réputé extrêmement cruel et soupçonné de crimes contre l’humanité, le dénommé Hemeti.

C’est lui, avec ses hommes armés, ceux qu’on appelle les Janjawid, les « démons à cheval », qui ont mis fin dans le sang à ces 57 jours de sit-in, le 9 juin 2019, le 29e jour du ramadan. À l’aube, tandis que les filles et fils d’officiels étaient rentrés chez eux pour la fête religieuse, tandis qu’il ne restait plus que les orphelins des rues, les pauvres, les femmes fragiles et les hommes précaires, un flot de miliciens est entré dans les lieux, tirant sur les gens à l’arme à feu, blessant et tuant certains, jetant ensuite les corps dans la rivière de la ville.

Investissez !

 Impossible de savoir les chiffres de ce qui a été le massacre du 29e jour du ramadan, sidérant toute la population et celles et ceux qui s’intéressent au sort du pays dans le reste du monde. Ces centaines de morts sont les martyrs d’un premier grand souffle, celui qui a mis fin à 30 ans de dictature et ouvre la porte à tous les possibles. Si les signes actuels demeurent difficiles à lire, si de nombreux observateurs ne sont pas très optimistes, si le viol est par exemple encore pratiqué comme une arme de guerre et de terreur dans certaines parties du Soudan, notamment au Darfour, si le comité militaire reste en place et continue de faire peser un climat d’angoisse, Ula croit ferme que tout commence quand même à changer. Première grande étape qu’a été la levée en décembre 2020 du statut de « pays soutenant le terroriste » appliqué au Soudan par les États- Unis et qui empêchait jusque-là le pays d’être ouvert à une partie du système financier mondial.

« Ne nous donnez pas d’argent, mais investissez ! » est l’un des slogans du nouveau gouvernement civil qu’aime à partager Ula.

En attendant de pouvoir voyager plus facilement là-bas, il est possible de lire et sentir la beauté de la culture soudanaise ainsi que sa fièvre révolutionnaire dans cette exposition d’importance majeure, ciel étoilé quand nous sommes en quête d’altérité et de transformation humaine et que nous voulons voir des yeux rivés vers un rêve.

Jean-Baptiste Gauvin

  

THAWRA ! ﺛورة RÉVOLUTION !

SOUDAN, HISTOIRE D’UN SOULÈVEMENT

4 juillet – 26 septembre 2021 10h00 – 19h30

Église des Trinitaires Arles

www.rencontres-arles.com

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