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Arles 2021 : Éditions Louis Vuitton : La Venise périssable de Cecil Beaton

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Synonyme d’art de voyager depuis 1854, Louis Vuitton continue d’ajouter des titres à sa collection « Fashion Eye ». Chaque livre évoque une ville, une région ou un pays, vu à travers les yeux d’un photographe. Avec Venice, la collection réveille le regard de Cecil Beaton et ressuscite les charmes d’une ville autrefois au centre du monde.

Dans sa préface de Cinquante ans d’élégance et d’art de vivre (1954), le couturier Christian Dior décrivait l’univers de Cecil Beaton (1904-1980) comme une terre d’insouciance et disait toute la majesté d’une attitude éternellement légère. Il en tirait ceci : « Je conçois que cet intérêt passionné pour les choses frivoles puisse agacer les gens sérieux. Tant pis pour eux. […] Et puis, nous savons que, des civilisations, c’est le périssable qui demeure. » Le périssable entache de sa présence la photographie où l’image abonde et meurt ; le voyage où les impressions s’étiolent et disparaissent pour ne plus laisser que des souvenirs ; et la mode où les saisons s’empilent sur des styles. Ces trois primeurs du périssable sont chez Beaton autant d’élégances.

Qui n’aime pas voyager ?” demandait ainsi Beaton dans The Face of the World (1957). S’il avait la veine d’être bien né dans la haute bourgeoisie londonienne, de sortir de Cambridge, en somme d’être et d’avoir, ses allées et venues auraient pu tourner autour de la Tamise dans des sphères d’apparences propres aux héros woolfiens. Des mots de Philippe Garner, il « dédia plutôt sa vie à la beauté ». Venise en était une parmi d’autres, entre les virées dans l’herbe grasse d’Ashcombe et les immeubles rutilants de Paris. Dans ses carnets de voyage, Beaton décrit précisément le choc esthétique que fut sa découverte de Venise. Il y découvre le soleil brillant de Venise et lui qui pensait caresser le chic aux falaises d’Étretat voit désormais la Normandie comme un repère de provinciaux. Pour un jeune dandy de vingt-deux ans, Venise « est le centre du monde », du moins le dernier Olympe estival avant l’avènement prochain de la Côte d’Azur, des divertissements plus charnels, d’un nouveau périssable.

Ce Venise là est une entrée en matière. Le Venise de Beaton tient d’une beauté criée avec le cœur, d’un amour doucereux et puissant pour ce qui naît et expire… la nuit et ses bals… les charmes d’une femme plus belle encore qu’une autre, dans un robe mieux parée… une baignade au Lido et les éclats incolores de l’Adriatique… En 1926, Beaton découvre Venise pour la première fois. La rencontre tient du sortilège, pénétré par cette ville de façades, d’embrasements et de lumières. Il y rencontre le soleil de plomb et s’accoutume avec vice à ses brûlures. Il est surtout dans la bonne société — celle des comtes, comtesses, vicomtes ou baronnes, des artistes et des dandys. Il mène une vie de société, traduite dans ses clichés insouciants de bord de plage. Les journées passent en jeux de cartes ponctués parfois de chorégraphies figées à l’image de ses compositions en duo, légers et fantasques, avec la danseuse Georgia Sitwell.

Le second Venise vient après-guerre dans le paroxysme d’une société d’élégance, où ne sont pas encore mortes, tues, disparues, ruinées ou simplement ignorées, les dernières aristocraties. Le 3 septembre 1951, Beaton est du bal du siècle donné par Charles de Beistegui dans le Palazzo Labi, au côté de Robert Doisneau et André Ostier, seuls photographes à promener l’œil dans les parures des deux mille invités encostumés chez Dior et Cardin. Beaton joue la carte du portrait et fige les robes et les visages fermés, les teints princiers comme parfois, le ridicule propre aux fêtes délurées. La photographie ouvre souvent un regard sur le temps, dit un peu l’époque. Celle-ci s’amuse frivole comme sérieuse dans son application à la distinction.

Si Beaton revient sur les canaux dans les années 1960 et 1970 s, ces deux moments forts caractérisent une société de cafés (chère à Thierry Coudert) comme un monde disparu décrit par un Paul Morand âcre et nostalgique dans Venises (1971). Philippe Garner le dit à merveille, sa photographie « a capturé l’essence du monde magique de l’imaginaire, un monde qui s’est épanoui pendant des siècles dans le décor remarquable offert par Venise ». Ces deux grands moments vénitiens trouvent une mise en page originale dans le livre des Éditions Louis Vuitton — une des plus étonnantes et, sujet oblige, raffinées de la collection « Fashion Eye ».

Divisé en trois grands ensembles de couleurs distinctives — un bleu gris et profond, un rose balai et un jaune vénitien — l’ouvrage reprend ces deux grands moments vénitiens dans les deux premières parties et mélange les séries de portraits et vues amoureuses de la ville dans la dernière. Sur le papier il danse les mêmes éclats aux coursives des palais du Canal Grande. Ce même papier s’avère parfois soyeux et lisse comme une couche photosensible, parfois fin et duveteux comme ceux des carnets de notes. La mise en page reprend en partie celle imaginée par Beaton pour ses carnets intimes : des albums photographiques où les photographies abondent et se mélangent comme des collages, adossées de brochures et de courtes légendes informatives. Le livre reproduit d’ailleurs, en exergue, quelques-uns de ces carnets intimes.

Dans son Venises, Paul Morand déclamait en ouverture un amour jamais éteint pour la Sérénissime. « Je me sens décharmé de toute la planète sauf de Venise, sauf de Saint-Marc » et plus loin conseillait « c’est après la pluie qu’il faut voir Venise ». Beaton préférait son soleil de craie et ses éblouissements. Pour le photographe anglais, un monde rythmé par le clapotis immuable aux pieds des palais, et tout au ciel, la légèreté et son faste.

 

Cecil Beaton – Venice
Éditions Louis Vuitton, 2021
23,5 x 30,5 cm
Édité par Pierre Bessard
Avec des textes de Cecil Beaton, la comtesse Cristiana Brandolini d’Adda et Philippe Garner
Édition bilingue en français et anglais
Disponible en ligne

Et le temps de la semaine des Rencontres d’Arles à la librairie :

LE BUSTE & L’OREILLE
3, rue du Président-Wilson 13200 Arles
du 4 juillet au 26 septembre 2021
du mardi au samedi de 10h à 22h
04 90 96 64 34

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