Inspirée par l’héritage de voyage de la Maison, la collection Fashion Eye de Louis Vuitton évoque des villes, des régions ou des pays à travers les yeux de photographes de mode, des talents émergents à ses légendes.
Le Saint-Tropez d’Osma Harvilahti est une village de Méditerranée comme les autres. Une fois ses paillettes saisonnières mises au placard des clichés, il n’en reste qu’un éclat intact, celui de la vie quotidienne au bord de mer. Une vie paisible, douce, honorée par le regard d’un coeur simple.
Il aurait été si évident d’exposer une nouvelle fois le faste, son mauvais goût et ses admirateurs. Ici, une cité sincère se dévoile. D’abord en ses contours, ses extérieurs, ses formes et ses détails. Les choses que l’on ne voit pas si l’on ne prend pas le temps. Ensuite par ses visages, ses habitants, qui, dans ce genre de villages, se font volontiers appeler « figures ». La période choisie par le photographe en est pour beaucoup. Alors qu’il traine sans cesse comme un chat qui s’étire, l’été sur sa fin, est, en Méditerranée plus qu’ailleurs, traversé par une forme de mélancolie. Quelque chose est en train de se figer, mieux, il se passe comme une « cristallisation », mouvement émotif cher à Stendhal. Elle touche à la fois l’artiste et le modèle, Saint-Tropez et tous ses acteurs, en grandeur nature. Le choix d’Osma Harvilahti est double : il lui permet de jouer avec d’imprévisibles lumières mais aussi de capter la vulnérabilité d’un village qui redevient lui-même et se met à nu. Il existe bel et bien à Saint-Tropez un manière de vivre, et davantage, une manière de regarder. En témoignes les portraits de ces habitants qui contemplent, regardent au loin la mer, le soleil, et parfois rien du tout. Simplement là pour contempler.
Le regard, donc, moteur d’images, et créateur en direct. Plus qu’un photographe, l’artiste finlandais est aussi compositeur. Il faut se le dire, ce n’est pas dans l’habitude des tropéziens de se balader avec un poulpe sur la tête ou une courge à l’épaule. Ces mises en scène, cocasses et pourtant authentiques, participent d’un rapprochement avec le terrain. Il faut être resté longtemps à considérer l’espace pour fabriquer ces petites compositions faites de fruits, de fleurs ou de coquillages. De la création culinaire façon grand chef aux éclaboussures de crème solaire à la Pollock, la récurrence des mises en scène annoncent une forme de projection, comme si Osma Harvilahti voulait donner à voir les jaillissements de son Saint-Tropez rêvé. Finalement, la fonction de ces tableaux dépasse l’esthétique : en un sens vernaculaires, les objets qui les composent dévoilent par touches délicates de quoi là-bas la vie est faite. Des totems qui sont construits comme des offrandes, des hommages et des remerciements.
C’est pour cela qu’il faut aussi considérer Osma Harvilahti, comme un documentariste. Habitué au voyage, inscrit dans la démarche de révéler le beau et le sensible partout où il passe, le photographe revendique même l’idée « d’égalitarisme culturel et esthétique dans ses sujets ». Et pourtant, il ne tombe jamais dans les écueils du relativisme et du jargon. L’ancien étudiant en sociologie met simplement à profit cet autre rapport au terrain. Comme tout travail au plus proche d’un objet d’étude, il parvient à se détacher des préjugés et des premières impressions. L’accès ne se fait qu’à travers un contact, une immersion, totale et indistincte.
Voir autre chose ne signifie pas s’aveugler. S’il parvient à révéler un autre Saint-Tropez, l’artiste finlandais n’a pas snobé les lieux-clés des habituelles fantaisies. Une nouvelle fois, le traitement par la délicatesse établit un mouvement au service du Beau : rendre anonyme pour faire universel. Son triptyque du Sénéquier, estime au très français « café-croissant », relaie la mythique brasserie au rang de bistro du coin. Il y a aussi le Byblos ou les Voiles qui auraient pu se trouver n’importe où ailleurs si les légendes des clichés ne les trahissaient pas. Et même lorsqu’il s’agit de piscines ou de grands chapeaux, c’est le pas de côté qui prime, ce même pas qui permet de s’éloigner des mauvais jugements. Quoiqu’il en soit, son dernier mot reviendra à la couleur.
Pour finir, le reflet d’un yacht dans l’eau du port de Saint-Tropez fait office de quatrième de couverture. Finir ? Plutôt commencer. La plupart du temps, cette page annonce le contenu du livre que l’on tient dans la main, et plus que le titre, elle est la porte dérobée qui appelle à entrer. C’est exactement ce que fait savoir le reflet de ce bateau. Dans tout ce projet photographique d’Osma Harvilahti, un même thème se distille : renvoyer l’image. Il y a d’abord le Saint-Tropez et ses limousines de parti-pris, sur la question du jugement. Il y a ensuite les ombres et les réflexions de la saison en transfert. Les compositions et les approches sur la capacité à faire sens. Un doux hommage aux peintres pour estivants. Et enfin, la réception, l’accueil, et les choses que l’on a rendre, lorsqu’on a tant reçu.
Rémi Baille
Directeur de la publication de l’Allume-Feu
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