“On dit que la musique adoucit les moeurs”… C’est sur cette phrase que Guillaume Chamahian termine le texte de sa série intitulée “Bosnia”. Sans doute un petit clin d’oeil à une vie antérieure.
“J’ai arrêté ma scolarité en troisième. A 18 ans on m’a offert un appareil photo, j’ai commencé à faire des images et à toucher à l’écriture et à la peinture. Je rentre aux Beaux-Arts de Marseille que je trouve trop scolaire. J’y reste 6 mois et pars à Londres. En 1995, je découvre le milieu underground, la techno, les Spiral Tribe (célèbre sound system londonien) et passe deux ans à mixer. En 1997 je rentre en France, les free parties battent leur plein, je traîne à Marseille avec les Metek, Okupe ainsi que les Sound conspiracy. Je suis ce que l’on appelle un traveller, mon sound system “Intrabass” me fait passer quatre ans sur la route. L’arrêt sera brutal avec la mise en place de l’amendement Mariani : à la fin d’une soirée la police saisit nos trois bus, 20 kilos de son et toutes nos affaires. Nous n’avons jamais rien revu”.
« Un de mes vrais regrets est de ne pas avoir d’images de cette période là. A l’époque, la notion de travail photographique documentaire ne m’attirait pas, c’est venu après. De 2001 à 2007, je suis en Amérique du sud, j’ai photographié tout ce qui m’entourait. Une vision très nocturne. Puis j’ai parcouru l’Asie et ai vécu en Afrique de l’est.”
“En 2007, je rentre à Paris et décide de ne me consacrer qu’à la photographie. C’est le médium qui me correspondait le plus. Mais j’avais ce besoin de partir dans tous les sens avant. “China urbunatomy” est ma première série. Elle sera réalisée en 2008 en Chine sur 4 mois. Je me suis concentré sur les nouvelles villes. L’humanité devient majoritairement urbaine et la Chine attend 400 millions de paysans qui vont arriver dans les grandes villes. J’ai parcouru des no man’s land. Des villes construites mais pas encore habitées. Un peu fantômatiques.”
En 2008, Guillaume Chamahian entreprend une thérapie. Elle sera le déclencheur des séries “Dark memory” et “Bosnia”. “Je m’interrogeais sur la cruauté de l’homme. Pourquoi à un instant t, les choses peuvent-elles déraper dans un état d’extrême violence. Le génocide Rwandais m’a beaucoup marqué. Je ne comprenais pas pourquoi des personnes avaient massacré leur voisin”.
La thérapie fait prendre conscience à Guillaume Chamahian qu’il a grandit avec un beau-père né à Erevan pendant le génocide arménien. Il est arrivé à 2 ans en France en ayant perdu sa mère. “Un monsieur qui portait un mal être extrême. Quelque chose était en lui, de très lourd et sombre. C’est drôle ma demi-sœur qui n’a rien connu des guerres, porte aussi cette noirceur et cette tristesse, comme si ce génocide et sa mémoire étaient inscrits dans ces gènes.”
De manière inconsciente, Guillaume porte ce fardeau mais différemment, il cherche des explications et se questionne sur la nature humaine. Il se rend au Cambodge, en Bosnie et en Pologne : “je cherchais des réponses. Mes interrogations sont intervenues au moment où la photographie prenait à mes yeux tout son sens. Je comprenais enfin pourquoi j’avais choisi l’image comme principal médium d’expression et dans le même temps, mon questionnement sur l’Homme, notre humanité, son histoire et son devenir croisait ma propre histoire.”
En 2010 Guillaume est invité au Photo off Phnom Penh. “J’y allais l’esprit léger et j’ai palpé à une sorte de malaise. Il débute “Sombre mémoire”, un travail réalisé la nuit. “Pourquoi ? Parce que les paysans sont terrorisés par la nuit, ils s’enferment. Des enlèvements ont eu lieu la nuit pendant les années 1970. L’obscurité jouait un rôle terriblement meurtrier”.
Une série de 40 images, une vidéo et un texte en ressortent aujourd’hui.
« Bosnia » a été réalisée en août 2010. On la découvre durant les Rencontres dans les rues d’Arles. “Je me suis rendu en Bosnie et j’ai parcouru huit lieux fortement ancrés dans la violence : villages détruits, camps de concentration, charniers, et bien sûr, Sarajevo. Je savais ce que je voulais faire, je me suis beaucoup documenté avant. Ce qui m’a marqué, c’est le viol comme arme de guerre massive de la part de l’armée serbe pour détruire la population. Les images ont été réalisées de nuit et nu. Elles dénoncent l’homme avec un petit h. J’ai mis deux ans pour la sortir, ce sujet était compliqué à défendre. Dans les discussions, certains soutiennent que le viol n’était pas appliqué comme arme. J’ai dû prendre du recul. Le film infra rouge est une référence aux images télévisuelles prises la nuit en situation de conflit. La couleur verdâtre me rappelle les bombardements de la guerre du Golfe ou les images d’Irak”.
“En avril dernier, j’ai eu envie de confronter le public à ces images et de les mettre dans la rue à Arles. L’interactivité avec les spectateurs est importante, d’où le flash code que l’on retrouve à côté des affiches. Par la suite, beaucoup de discussions ont lieu.”
Guillaume Chamahian est aussi connu pour la fondation du festival “Les nuits photographiques”. Il est avec Nicolas Havette, directeur artistique de cet événement qui a connu sa deuxième édition en juin dernier.
“J’avais envie de monter un festival de photographies à Paris. Il n’y avait pas de véritable festival. Je voulais un événement gratuit et j’adorais les Buttes Chaumont. La rencontre avec Nicolas au Cambdoge a été décisive. Il était directeur artistique de la bodega, le off du PPP. L’année suivante, j’ai repris la direction artistique. Cela s’appelait alors “Le melon rouge Photo Fringe”. L’idée des nuits photographiques lui a plu, c’était en 2010.
Nous nous sommes intéressés aux nouvelles formes de représentation de la photographie, au travail de réalisation autour de l’image fixe et de la création sonore. Nos références étaient le court métrage, les petites oeuvres multimedia (POM), les films photographiques. Aurélie Legal nous a rejoint ensuite”.
Cette semaine, nous projetons la programmation 2012 des nuits au “Magasin de jouets” à Arles.
“La Projection se trouve au sous-sol, elle tourne en boucle toute la journée. Toutes les soirées sont programmées à nouveau, chaque jour de la semaine. Samedi, à partir de 20h00, une programmation spéciale aura lieu à partir de 20h. Elle présentera la projection annulée du 15 juin ainsi que les 5 lauréats.”
Concernant la seconde édition du festival dédiée aux pratiques émergentes du film photographique, elle a rassemblé un public nombreux avec plus de 2.500 personnes malgré une météo vraiment difficile. Le Prix des Nuits Photographiques a récompensé “Bain de Foule” d’Oan Kim. Il a gagné le prix Nikon. Les Prix du Public ont récompensé les oeuvres suivantes : “La chambre rose” de LindaTuloup, “The Route 66” de Léo Delafontaine, “The Vaults” de Mark Henley, et “Enquêtes de toits” de Jérémie Jung.