Parcourir Anthology, c’est s’imprégner de l’esprit d’Aperture autant que suivre l’histoire de la photographie en commençant par son tournant critique dans les années 50. La photographie plasticienne reprend son autonomie malgré la vague écrasante du photojournalisme qui inonde les nouvelles publications illustrées comme Life. Elle est appréhendée comme langage, sous l’impulsion notamment de Minor White, qui révolutionne l’enseignement balbutiant de la photographie avec un cours nommé Visual Communication. Minor White est l’esprit d’Aperture. Il a modelé sa direction éditoriale par des choix audacieux mêlés à des portfolios plus évidents, imposé la séquence comme vocabulaire essentiel à la lecture d’un travail, instauré des réunions répétées entre critiques et amateurs, n’hésitant pas à inviter ses élèves autour d’une table érudite malgré son piètre talent culinaire. Une convivialité née d’une passion communicative. Il mêle exigence esthétique et accessibilité, proposant l’abonnement à cette publication critique majeure pour 4,50 dollars (ce qui déjà à l’époque était presque scandaleusement abordable). Une dimension qui aurait causé la disparition du journal à plusieurs reprises sans le soutien de mécènes bienveillants. Dans cette compilation référence, le choix d’articles fait dans les 77 numéros d’Aperture publiés entre 1952 et 1976 est raisonné et non exhaustif. Il permet de cerner les problématiques esthétiques majeures qui ont animé le monde de la photographie après les années 50 et qui continuent de guider aujourd’hui le discours critique. Somme incontournable de la pensée photographique, l’ouvrage édité par Peter Bunnell, assistant de White des 1955 et consultant éditorial par la suite, est également une plongée dans l’intimité d’un cercle mené par un brillant et généreux leader.
Laurence Cornet
