L’exposition d’Annie Leibovitz à Arles est fabuleuse, elle fait partie de ces expositions de légendes qui demeureront dans l’histoire pour leur créativité, leur originalité et leur richesse : quelques centaines d’images exposées dans une dizaine de salles sur près de mille mètres carrés. Un parcours initiatique qui retrace les dix premières années de la photographe américaine à Rolling Stone. Vous allez avoir la chance de la découvrir cet été. En attendant, nous vous présentons le catalogue associé en publiant deux textes signés de Maja Hoffmann,Présidente fondatrice de la Fondation LUMA, et Matthieu Humery, Directeur du Programme d’Archives vivantes de la Fondation LUMA.
Annie Leibovitz Archive Project#1 : The Early Years (Les premières années), première exposition très complète sur les débuts de la photographe, fera date. Elle a été créée par l’équipe du Programme d’Archives vivantes de la Fondation LUMA, qui a pour fonction de rassembler dans un esprit de recherche à la fois esthétique et scientifique, des ressources multimédias diverses et multiples sur des personnalités majeures dans les domaines des arts visuels, de la littérature et des arts du spectacle.
Le Programme d’Archives vivantes intègre dans ses principales missions la présentation des matériaux qu’il réunit, à travers des expositions de conception innovante et des actions d’animation et d’information destinées au grand public. Idéalement, ces présentations sont conçues à la Fondation LUMA, au Parc des Ateliers d’Arles, et sont par la suite souvent accueillies par des institutions partenaires de notoriété internationale.
Dans le cadre de sa mission, l’exposition se concentre sur les débuts de la carrière d’Annie Leibovitz. Son approche permet de contextualiser plus finement et plus profondément une pratique photographique unanimement saluée.
Maja Hoffmann
Présidente fondatrice de la Fondation LUMA
Une des plus éminentes photographes de la seconde moitié du XXe siècle, Annie Leibovitz n’a cessé depuis près de cinquante ans de créer des images qui ont marqué notre temps. Si ses remarquables portraits ont profondément contribué à enrichir notre imaginaire culturel et à redéfinir la perception de notre époque, les origines et les débuts de sa carrière de jeune photographe ont rarement été étudiés. Coïncidant avec l’acquisition de ses vastes archives par la Fondation LUMA, l’exposition Annie Leibovitz Archive Project#1 : The Early Years explore les fondements de son engagement esthétique et analyse son travail artistique à travers son expérience formatrice de la contre-culture des années 1970 qui explosait alors, dans un sentiment extatique de laisser-aller juvénile et de l’attente pressante de bouleversements personnels et politiques.
Lorsqu’elle fit l’acquisition de son premier appareil photo en 1968, Leibovitz étudiait la peinture au San Francisco Art Institute. Elle décida d’opter pour l’enseignement du légendaire département de photographie de l’école en troisième année d’études, et publia bientôt une série d’images de reportage sur les manifestations contre la guerre au Vietnam dans un tout nouveau magazine : Rolling Stone. Ce premier travail photographique révèle déjà bien des aspects de sa curiosité visuelle. Reflétant l’influence d’Henri Cartier-Bresson et de Rober Frank, son approche instinctive du photojournalisme et du portrait est directement issue de la nouvelle garde révolutionnaire de la photographie, d’alors – petit format en noir et blanc – et d’une sensibilité à l’esprit du reportage dans sa façon de réaliser ses images. Attirée par des photographes qui aimaient capter des sujets non conventionnels, elle développa très vite un sens éminemment personnel de la navigation entre l’urgence, sa personnalité et ses divers registres de proximité physique et psychologique avec ses sujets.
Le retour de Leibovitz sur ses premiers travaux a répondu à une volonté déterminée. Ce fut un passage en revue créatif et attentif d’un océan d’images, qui entraînait de multiples associations d’idées. Partie auto-examen, partie exhumation, on pourrait rapprocher ce processus d’une archéologie du soi, le passage du temps permettant une relecture productive aussi bien de son époque que de son ego. Aujourd’hui, plusieurs décennies après la création de ces images, Leibovitz est ainsi le témoin de sa propre vie, de ses moments les plus intimes, de sa frénésie de voyages, de sensations simultanées d’intimité et de célébrité, de la brutalité de sa jeunesse, des drogues et d’une camaraderie née dans les moments difficiles de la vie. Dans le même temps, cette revisite signifie aussi porter témoignage et reconnaître son rôle d’incomparable chroniqueuse d’une époque.
L’exposition nous force à observer un statut de l’image en transformation permanente. Naguère expressément destinées à la consommation journalistique, dans cette atmosphère d’immédiateté qu’exige la rotation permanente des sujets, les photographies de Leibovitz sont maintenant chargées des privilèges et du poids de l’importance historique. Présentées chronologiquement et par thème, ces images ont évolué et dépassé leurs modes de production et de distribution initiaux. Aujourd’hui elles sont confrontées à la fois à leur créatrice et à leurs spectateurs, dans un contexte entièrement nouveau.
Matthieu Humery
Directeur du Programme d’Archives vivantes de la Fondation LUMA
Annie Leibovitz, Les premières années : 1970-1983. Archive Project #1
Catalogue disponible à la Fondation LUMA
http://www.luma-arles.org/programme/#annieleibovitzarchiveproject