Dès les années 1960, Andy Warhol réalise des portraits commissionnés, d’abord tirés au Polaroid puis dupliqués en sérigraphies. Vers 1975, il réinvestit ce travail commercial et détoure une soixantaine de lèvres de ces portraits, les agrandit et les reproduit sous forme de sérigraphies et de collages qu’il assemble dans trois albums. La galerie Danziger à New York expose pour la première fois un certain nombre de ces Lips hors de leur contexte initial (c’est-à-dire celui du livre) et elle assume ce parti pris sans s’encombrer d’explications. Les sérigraphies sont présentées par la galerie comme un ensemble qui est extrait, on ne sait trop comment, des trois éditions fabriquées par Warhol. Ce sont toutes des pièces uniques qui sont encadrées séparément.
Le procédé utilisé par Andy Warhol est inhabituel puisqu’il a sérigraphié ces lèvres sur des bandes de ruban adhésif collés sur des feuilles de papier de 20 x 21,5 cm (8 x 8,5 pouces). Ce côté “bricolage” est sans doute ce qu’il y a de plus charmant dans ces pièces : le ruban a jauni, il colle mal et flotte parfois au-dessus du papier. On peut dénombrer plusieurs images originales dupliquées (parfois inversées ?) par Warhol avec différentes trames plus ou moins fines, cette manière de faire met en valeur le reflet de la lumière sur la lèvre inférieure. La plupart de ces bouches sont de facture grossière mais ont des limites nettes. La saturation est telle qu’elles ne sont parfois constituées que d’un aplat noir et de quelques nuances de gris. Elles deviennent de simples formes et la photographie initiale disparaît au profit du motif. Tout ceci renforce l’idée d’un travail qui paraît bâclé, mais qui est extrêmement vivant et original, comme s’il ne s’agissait, dans l’esprit de l’artiste, que d’épreuves et de tests. L’œuvre reste un mystère et on se demande vraiment ce à quoi Andy Warhol pensait quand il a fait ces sérigraphies.
La galerie Danziger présente une belle collection de Lips et leur démultiplication rend hommage à l’esprit d’obsession d’Andy Warhol. La volonté de la galerie de les encadrer séparément brise l’effet de série et leur redonne une certaine solitude. L’exposition vaut la peine d’être vue : à travers ces infinies variations et leur aspect artisanal, on a l’impression de voir Andy Warhol au travail.
Hugo Fortin
Hugo Fortin est un auteur spécialisé en photographie basé à New York.
Andy Warhol : Lips
Du 19 janvier au 25 février 2017.
Danziger Gallery
95 Rivington Street
New York, NY 10002