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Andy Summers, un crâne au bord de la route

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Cheminant vers le Royaume de Chu, le philosophe chinois Zhuangzi (4e siècle avant JC) aperçut au bord de la route un crâne desséché mais encore entier. Il le tâtonna du bout de sa cravache, et l’interrogea ainsi : « La passion de vivre t’a-t-elle fait commettre des excès, que tu en sois arrivé là ? Ou en es-tu là parce que tu as mal agi et que tu n’as pas supporté d’avoir déshonoré les tiens ? Ou est-ce simplement que tes années étaient arrivées à leur terme ? » Il se tut, emmena le crâne à lui, s’en fit un oreiller et s’allongea pour dormir.

Au milieu de la nuit, le crâne lui apparut en rêve et lui dit : « Tes propos de tout à l’heure n’étaient que de la rhétorique. Tu as évoqué les servitudes auxquelles sont soumis les vivants, mais rien de tel n’existe plus dans la mort. Dans la mort, il n’y a plus ni princes au-dessus, ni sujets au-dessous, ni travaux de saisons. On est détaché de tout cela et l’on a pour soi la durée du Ciel et de la Terre. Même le plaisir royal de régner n’approche pas de cette joie-là » Zhuangzi fit, incrédule : « Si, à ma demande, le Maître des destinées était prêt à reconstituer ton corps, à te refaire les os, la chair, les muscles et la peau, à te rendre, père, mère, femme, enfants, voisins et amis, accepterais-tu ? » Le crâne se rembrunit et répondit : « comment pourrais-je renoncer à une joie royale pour me soumettre à nouveau aux peines de l’existence humaine ? »

Telle est la parabole du philosophe chinois Zhuangzi qui vivait au 4e siècle avant JC dont s’est inspiré Andy Summers, l’ex-guitariste du groupe The Police pour appeler sa nouvelle collection de photographie chinoise The Bones of Chuang Tzu, exposée à la galerie Anne-Cecile Noique à Shanghai et dont un volume parait prochainement chez l’éditeur Steldl. Comme la fable, les photographies d’Andy Summers interpellent et appellent aux interprétations et métaphores.

Par rapport à ses débuts en photographie, qui consistaient plutôt en des instantanés saisis lors des tournées de concert de son groupe, des portraits intimistes et mouvementés des membres du groupe, de leurs roadies et groupies, pour lesquels il avait publié un précédent livre baptisé du titre de leur plus gros succès I’ll be watching you, cette nouvelle série composée de photos de plusieurs séjours en Chine prend une tournure plus lente, plus réfléchie, plus contemplative. Mais toujours en noir et blanc, toujours avec un appareil Leica même si – entre temps, Andy Summers comme beaucoup de grands photographes plus renommés est passé de l’argentique au numérique. Selon ses propres déclarations : « Au début on était constamment entouré de photographes, et je me suis mis à parler d’appareils de photo avec eux. Pour finir je me suis payé un appareil moi aussi. »

Ce qu’il appelle « Les Os de Zhuangzi » (the Bones of Chuang Tzu) est en fait une projection d’ombres chinoises métaphoriques qu’il nous laisse décrypter, car dans ses images il n’y a pas l’ombre d’un squelette ni d’un crâne, alors qu’il y a une réflexion appliquée en filigrane sur le vagabondage photographique comme l’aurait prôné le nomade Zhuangzi, vagabonder sans but et glaner ce qui se présente. Ce n’est pas toujours des visages, mais une porte en bois sortie de ses gonds, un pavillon aux nuages dispersés (sur la Montagne Jaune), un promontoire mystérieux qui se jette sur le néant, une fillette paysanne portant gracieusement deux bottes de paille sur ses épaules, défiant l’objectif du photographe d’un œil inquisiteur.

Pour un habitué des feux de la rampe le spectacle de l’orchestre folklorique des vieux musiciens de la minorité Naxi de Lijiang le fascine, surtout les antiques instruments à cordes, Andy Summers les passe au scanneur, les visages des vieux musiciens, leurs doigts posés sur leurs instruments, leurs yeux fermés, comme une tentative de détecter sous la peau et la chair les « os » de Zhuangzi…

 

Jean Loh

Jean Loh est rédacteur spécialisé en photographie. Il vit et travaille à Shanghai, en Chine.

 

 

Andy Summers
Du 13 octobre au 7 novembre 2017
Anne-Cecile Noique Art
Shanghai

http://www.annececilenoique-art.com/

 

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