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Amman 2013: Rencontre avec Charles-Henri Gros

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Rencontre avec Charles-Henri Gros, directeur de l’Institut Français de Jordanie et fondateur du Festival Amman

La quarantaine placide et le regard rivé vers l’horizon, Charles-Henri Gros « a fait le job », comme on dit. Depuis sa nomination au poste de Directeur de l’Institut Français de Jordanie en septembre 2010, ce dernier s’est efforcé de rendre visible et vivante la scène photographique en expansion dans le pays et ses alentours. Instigateur du Festival de l’image à Amman, il revient avec nous sur la genèse de sa création et en profite pour souligner l’importante nécessité pédagogique que requiert la pratique cognitive de l’image.
À l’occasion de la troisième édition du festival, rencontre avec un homme qui entend bien conduire, par-delà les frontières, l’unique festival international de photographie du monde arabe.

Fanny Lambert: Comment ce projet du Festival de l’Image à Amman a-t-il vu le jour ? Qu’est venue animer cette ambition ?

Charles-Henri Gros: La création de ce festival est la résultante de trois constats majeurs identifiables dès lors que l’on s’attache à observer ce que représente l’image dans la société jordanienne. Premier constat : la place de l’image dans le monde arabe est inégale, principalement pour des raisons de traditions religieuses. Le recours aux écrans, en particulier, s’est généralisé en quelques années (TV satellite, Internet, téléphonie mobile) sans qu’une réelle connaissance/culture de l’image, dotée de ses codes ou clés de lecture et d’interprétations, ait eu véritablement le temps de s’établir. Or, malgré cette modeste familiarité avec l’image, les crises politiques et les conflits ont largement imposé « l’image d’information » dans les foyers du pays. L’image est souvent associée à ces seuls faits. Enfin, le dernier constat concerne les photographes eux-mêmes. Ici, en Jordanie, d’authentiques talents ont adopté l’image photographique comme mode d’expression artistique. Toutefois, cette absence de connaissance/culture, à l’instant évoquée, constitue un frein à la diffusion et au bon développement des travaux des artistes. Il fallait y remédier. Un festival m’a semblé être le bon cadre pour rendre tout cela possible.

FL : Quelle a été votre stratégie à travers la création de ce festival ?

CHG: Il fallait frapper un « grand » coup pour révéler la discipline artistique et soutenir les talents. Organiser un long festival, sur un mois, allait permettre d’organiser une offre dense, riche, variée tout en autorisant un bouche-à-oreille efficace.
D’autre part, associer les quelques lieux de diffusion artistique – tels que les galeries, les espaces culturels – et investir des lieux publics, m’est apparu primordial.
Bien sûr, inviter des photographes français talentueux nous permet, outre de présenter nos richesses culturelles nationales et de « tirer vers le haut » le mouvement ainsi initié, de déployer un riche programme d’ateliers et de rencontres avec les photographes sur place.
Enfin, il fallait créer un lien fort avec la France, au travers d’un événement majeur, capable de générer un dialogue entre l’Europe et les talents jordaniens. C’est le cas cette année avec la première présentation de « La Nuit de l’Année » en Jordanie.
Bâtir un projet pérenne par le biais du festival était notre objectif. Soucieux de voir perdurer cet élan, un accord a été passé avec Linda Khoury (commissaire générale du festival depuis la première édition) selon lequel si à l’avenir un changement de cap devait intervenir au sein de l’Institut français de Jordanie, Linda, en tant que partenaire, se verrait propriétaire du concept et en aurait l’usufruit.

FL : Quels ont été les enjeux de cette troisième édition ?

CHG: Bien évidemment, l’idée était de faire mieux que les éditions précédentes et d’accroître la visibilité du festival afin d’augmenter sa fréquentation. De fait, c’est bien entendu d’apporter des réponses, toujours plus incisives, aux constats que je viens d’évoquer.

FL : Pouvez-vous m’en dire davantage sur le thème requis cette année : « Macro et Moi » ? De quelle manière a-t-il été choisi ? Doit-on y voir une quelconque résonance avec la position géographique de la Jordanie ?

CHG: C’est un fait, le choix d’un thème « contraint » les artistes à la réflexion et, par conséquent, encourage la créativité. Le Festival est encore jeune. L’an dernier, pour la seconde édition, la thématique était « (re)évolution ». Ce qui permettait aussi aux artistes de s’inscrire avec aisance dans l’actualité des printemps arabes. Mais déjà, nous avons eu le plaisir de voir que tous n’ont pas cédé à cette tentation et se sont dirigés vers des travaux éblouissants en lien avec des mutations qui n’étaient ni politiques, ni sociales. Le pari était alors gagné, le principe d’une thématique pour ce Festival étant adopté par les artistes eux-mêmes.
Cette année, comme pour l’an passé, je me suis occupé du choix éditorial. Comme initiateur du Festival, responsable de l’Institut français de Jordanie et, par tant, garant des quelques deniers publics investis dans ce beau projet, je suis déterminé à en assumer la bonne mise sur orbite. Ces choix éditoriaux successifs, au-delà de leur formulation finale, sont le fruit de réflexions matures fondées sur une écoute permanente.
Je reprends volontiers à mon compte ce que me faisait observer Thierry Bouët il y a quelques jours, « en comparaison avec nos vieux pays, la région est en pleine mutation ; les photographes ont ici la chance de pouvoir mêler à leur travaux un authentique exercice de mémoire vive ».

FL : « La Nuit de l’année » sera présente pour la première fois sur place, qu’attendez-vous de ce rendez-vous entre la France et la Jordanie, et des habitants d’Amman de façon plus générale ?

CHG: Nous sommes en effet très fiers, cette année, d’accueillir à Amman « La Nuit de l’Année ». L’objectif est bien entendu de construire un pont entre le Festival de l’Image et les Rencontres d’Arles et de donner une chance aux artistes jordaniens d’avoir la possibilité de présenter leurs travaux en Europe et en France en particulier.

FL : Comment s’est établi le lien avec les galeries locales ? Agissez-vous de concert ? Le choix des artistes jordaniens sélectionnés est-il le fruit d’une décision commune ou bien est-ce aux galeries de proposer un certain nombre des photographes qui figurent parmi leur catalogue?

CHG: Chaque année, en octobre, nous invitons l’ensemble des acteurs jordaniens (galeries, espaces culturels, autorités municipales pour les lieux publics) et la presse à une présentation de l’édition suivante. À cette occasion, nous leur exposons le thème du Festival de l’Image, les spécificités de l’édition, et nous présentons aussi un bilan de l’édition précédente.
Les responsables des lieux sont invités, à échéance de décembre, à nous proposer des artistes ou à nous demander de leur en présenter.
Les choix sont ensuite validés par Linda Khoury, qui opère en tant que commissaire générale à nos côtés.

FL : A quelle affluence vous attendez-vous ? Diriez-vous que c’est un événement auquel prend part un nombre important de la population jordanienne dans son ensemble ? Est-ce un pôle attractif pour les jordaniens mais aussi pour les pays voisins ?

CHG: L’année dernière, nous avons comptabilisé 8 500 visiteurs pour l’ensemble de la période. Pour cette édition, nous en attendons 10 000. Mais pour répondre à votre question, nous présentons aussi des artistes irakiens, libanais, syriens, égyptiens et palestiniens, et même américains en plus des photographes français invités. Certaines institutions arabes comme l’« Arab Image Foundation » (Liban) participent également à la manifestation.

Avec 6,5 millions d’habitants (sans compter les réfugies syriens qui ont trouvé asile dans le royaume hachémite ces 24 derniers mois), la Jordanie a une population peu dense à l’exception d’Amman dont l’agglomération recense 2 millions d’habitants. Je doute néanmoins que nous sachions attirer les 1.990.000 qui ne fréquentent pas encore le Festival de l’Image ! En revanche je puis vous assurer que notre compétition attire déjà des talents venus de toute la région du Levant et même au-delà.

FL : Comment se fait-il que ce soit l’unique festival international de photographie du monde arabe ? La photographie n’est certes, a priori pas, la première chose à laquelle on pense quand on songe à la Jordanie. Pourriez-vous nous dire quelle place elle occupe au regard du marché de l’art, mais aussi ce qu’elle représente dans la société jordanienne?

CHG: Les constats que j’ai formulé plus haut expliquent en partie cet état de fait. Nous accomplissons ici, avec détermination, notre part pour faire bouger les lignes.
J’ajoute que le marché de l’art en Jordanie reste relativement modeste, toutes disciplines confondues. Qu’il est plus intense en Syrie (avant conflit) et relativement actif au Liban. Mais l’existant concerne davantage la peinture, souvent d’artistes irakiens réfugies, et moins la photographie. Gageons que ce Festival va faire son œuvre pour voir émerger un marché et que dans une décennie, comme avec l’histoire de la poule et de l’œuf, on ne saura plus dire pourquoi le marché de l’art photographique existe dans la région.

FL : Que souhaitez-vous au festival pour les éditions à venir?

CHG: Que ce long rendez-vous devienne peu à peu LA référence dans cette région et entraîne dans son sillage celles et ceux qui veulent voir du neuf.
Que les Jordaniens s’approprient encore davantage cet événement car c’est avant tout le leur.
Que des artistes photographes jordaniens puissent montrer leur travail comme n’importe quels photographes et envisager de vivre de leur art.
Les dates de la quatrième édition sont d’ores et déjà connues, du 1er au 31 mars 2014. Il y a ceux qui viendront et ceux qui attendront encore un peu. Et vous ?

Fanny Lambert

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