Rechercher un article

America Latina: Photographies d’une histoire mouvementée

Preview

A travers d’œuvres signées de soixante douze artistes sud-américains méconnus, La Fondation Cartier retrace sur un demi siècle l’histoire politique, géographique et sociale de l’Amérique latine.

Avec ses cinq cent documents divers – photos couleur et noir et blanc, diapositives, collages, photocopies, documents écrits, installation multimédia –, America Latina est un exposition à savoir digérer. Pour son ampleur mais également pour tout ce qu’elle évoque : évènements politiques, violence, rapports de force, excès. Il aura fallu la contribution de six commissaires pour relever le défi de cette rétrospective organisée en quatre thématiques, présentées sur deux niveaux, et qui mêle les genres de la photographie, du documentaire au conceptuel.

La première partie pose les bases de l’exposition. Au travers du thème des « Territoires », le visiteur est invité à se familiariser avec le continent, une exploration par les cartes, les carnets de voyages et une vision de la délimitation des différents États. Car les frontières entre les peuples ont toujours été une source d’inspiration pour les artistes, en témoigne la brésilienne Regina Silveira, qui avec son « Latin American Puzzle » propose une réflexion sur le problème de l’identité latino-américaine via une carte morcelée. Suivent le mexicain Carlos Ginzburg et son étude photographique du tourisme, ou les autres brésiliennes Anna Bella Geiger dont le pain de mie grignoté prend la forme de son pays, et Claudia Andujar, qui a photographié les Indiens Yanomami d’Amazonie dans une série intitulée Marcados Para. Si bien que cette introduction sonne comme une ode à une diversité culturelle parfois oubliée : héritages indigènes et préhispaniques, legs africains, influences occidentales ou encore traditions communautaires.

Deuxième thématique, les « Villes » apparaissent comme un autre terrain photographique investi par ces artistes aux onze nationalités différentes. Indéniablement, ces images traduisent leur relation à cet espace public observé, il est un endroit en mutation, un endroit à documenter, comme un endroit de parole. Affiches, graffitis, panneaux publicitaires mais aussi rues, enseignes, paysages urbains en contraste informent sur l’évolution architecturale et démographique des villes, les inégalités, la réalité sociale de populations confrontées à la violence, la pauvreté et la survie. Ainsi Rosario López s’intéresse aux aménagements récents du centre-ville de Bogota qui ont pour but d’en chasser les populations les plus démunies. Paolo Gasparini photographie la prolifération des enseignes commerciales et des vendeurs de rue à Caracas, Lima, Montevideo ou encore Bogota, symptomatique d’un consumérisme en pleine expansion et d’une société urbaine à deux vitesses. L’Argentine Graciela Sacco, elle, s’intéresse à ces « murs qui parlent » : sa série « Bocanada » dévoile des images affichées de bouches grandes ouvertes, comme pour suggérer, aussi, le combat pour la liberté d’expression.

Les « salles militantes » se trouvent au sous-sol de la Fondation Cartier, où se complètent les thématiques « Informer – Dénoncer » et « Mémoire et identités ». On se rappellera que l’Amérique latine a connu depuis les années 60 plusieurs décennies de violences, de révolutions, de luttes armées, de violations des Droits de l’Homme. Aujourd’hui, même si le climat politique s’est apaisé, elle reste une des régions les plus dangereuses du monde, ravagée par les enlèvements, les vols à main armée, les meurtres en tout genre. Ainsi, la colère de ses peuples est largement à entrevoir dans les œuvres. Elle est métaphorique dans les photos du Cubain Jose A. Figueroa (Hopital Siquiatrico de la Habana, 1980) qui juxtapose au portrait d’un homme le slogan «Paciente más destacado del Mes», un pastiche de «l’employé du mois» américain, poétique dans la série Mujeres presas d’Adriana Lestido, qui montre des femmes et leurs enfants en prison. On la retrouve imagée chez le Brésilien Rosângela Rennó et ses tatouages de détenus (Cicatriz) et réelle dans les impacts de balles visibles sur l’encadrement en verre du diptyque Fue no fue, nunca lo sabremos de l’Argentin Oscar Bony. Chez la Colombienne Johanna Calle ou la Mexicaine Teresa Margolles, elle se traduit par des textes provenant de lettres ou d’archives, témoignant de drames politiques ou sociaux survenus dans leur pays.

Un lourd passé qui pousse aujourd’hui les artistes à des questionnements sur leurs sociétés en pleine mutation à travers des œuvres associant textes et images. Une démarche d’autant plus complexe que le travail de mémoire sur les drames de l’histoire récente reste encore à accomplir. Ainsi, Juan Manuel Echavarría et Graciela Iturbide photographient-ils des lieux chargés de cette mémoire, le premier pour témoigner de l’exil forcé d’une population, la seconde pour rendre hommage à Frida Kahlo, grande figure de l’art mexicain au XXe siècle. Mais aujourd’hui, après une période de grands combats collectifs et d’utopies, l’heure semble au retour à l’intime, que les plus jeunes artistes tels que Guillermo Iuso ou Iñaki Bonillas pratiquent avec humour. Ce dernier, né à Mexico en 1981, joue avec des cartes de visite, vraies ou fausses, de son grand-père. Elles côtoient les photos de celui-ci, jeune, en noir et blanc, qui illustrent une activité parfois inventée. Une sorte de thérapie par la fantaisie, qui trouve également toute sa place dans l’engagement pris par l’exposition America Latina et ses artistes nourris à la souffrance.

America Latina, 1960-2013
Jusqu’au 6 avril 2013
A la Fondation Cartier

261 Boulevard Raspail
75014 Paris
France
+33 1 42 18 56 50

http://fondation.cartier.com

Merci de vous connecter ou de créer un compte pour lire la suite et accéder aux autres photos.

Installer notre WebApp sur iPhone
Installer notre WebApp sur Android