Le photographe d’origine italienne présente sa série « Scene » au BAL à Paris jusqu’au 28 avril prochain. Armé d’un dispositif imposant faits de flashs comme dans un studio, Alex Majoli attrape l’image d’un groupe de personnes dans des situations fortes, parfois dans des événements de l’actualité. Il interroge ainsi la façon de faire du photojournalisme aujourd’hui et tente de capter la théâtralité du monde. Il a livré un entretien à L’Œil de la Photographie.
Comment réalisez-vous ces photographies ?
Simplement, je marche dans la rue, parfois je me rends à un événement, un événement prévu à l’avance et donc un événement où il y a une « théâtralité » possible, je m’y rends et je vois quelque chose qui m’intéresse ou qui pourrait m’intéresser. Alors je demande à mon assistant de prendre un flash dans la main, j’installe un autre flash, je me place à une certaine position et je commence à prendre des photographies. Avec les trois premiers flashs, je vois comment les gens réagissent. La plupart du temps, les gens restent sur place et je continue de prendre des photographies. Après quelques minutes, ils font semblant de m’avoir oublié ou bien ils m’oublient vraiment, je ne sais pas. Au bout d’environ sept minutes, ils m’ont complètement oublié et alors je peux vraiment m’adonner à la photographie. C’est à ce moment-là que des choses intéressantes se révèlent : des personnages, des situations…
Est-ce qu’avec votre installation, c’est-à-dire vos flashs qui prennent de la place et sont particulièrement visibles, vous ne créez pas vous même un « petit événement » dans l’événement que vous venez photographier ?
Quand il s’agit d’un grand événement, comme des funérailles par exemple ou bien des réfugiés qui sont en train de débarquer sur une plage, je ne le pense pas, parce que l’événement est trop important en lui-même. Mais le reste du temps, peut-être, oui. L’histoire de la photographie montre qu’il en a toujours été ainsi d’ailleurs, que le photographe créé finalement un petit événement dans l’événement.
Et le fait que les gens réagissent de cette façon – qu’ils se mettent très vite à vous oublier – n’est-ce pas le signe qu’ils acceptent votre rôle et le leur, qu’ils assument le personnage social qu’ils sont dans cette situation ?
Vous savez, je dirais oui, surtout quand l’événement est très important et qu’ils ne peuvent pas le contrôler. Ils acceptent leur rôle, oui, tout à fait. Je pense d’ailleurs que les gens qui ne restent pas quand je me mets à photographier la situation sont peut-être justement les personnes qui n’acceptent pas leur rôle social.
Il y a dix ans, les gens n’auraient peut-être pas réagit de la même façon ?
Oui, tout à fait. Il y a une habitude de l’image qu’il n’y avait pas avant. Maintenant, le monde est couvert d’images et nous ne sommes pas surpris par la photographie. Les gens acceptent sans doute mieux la présence d’un photographe dans l’événement.
D’un point de vue esthétique, pourquoi choisissez-vous le noir-et-blanc dans ces photographies et pourquoi utilisez-vous des flashs ?
L’esthétique vient d’une myriade d’inspirations… Tout d’abord le noir-et-blanc vient du fait que quand j’étais en train d’apprendre la photographie, je regardais des maîtres comme Henri Cartier-Bresson, Josef Koudelka, Walker Evans… Donc, assez vite je me suis habitué à photographier en noir-et-blanc, comme eux. Et puis, pour la lumière, pour l’utilisation de flashs donc, j’ai été très influencé par Le Caravage, notamment à Rome où je me suis souvent rendu à l’église San Luigi Dei Francesi où on peut admirer les toiles du peintre et évidemment ses incroyables lumières. La lumière est importante parce qu’elle fait partie du dispositif qui permet de souligner la théâtralité du monde, ce que je cherche notamment à travers ce projet.
Propos recueillis par Jean-Baptiste Gauvin
Alex Majoli
« Scene »
Du 22 février au 28 avril 2019
Le BAL
6 Impasse de la Défense, 75018 Paris